mardi 29 décembre 2020

La vie musicale populaire en Flandre française

publié le 4/6/2020
mise à jour le 29/12/2020, ajout d'un article  "catégoriser un rythme flamand"


Documents recueillis par André-Marie Despringre et publiés en 1983



La musique des rites calendaires
 Les douze jours
1 - Driekoningenlied / Cantique des rois mages (GO)
2 - Driekoningenlied / Cantique des rois mages (BA)
3 - 'T is nieuwjaaravond / C'est la veillée du nouvel an (Ste Marie CA)
4 - 'T vandage dertienavond / C'est aujourd'hui la veillée de l'Epiphanie (BA)
5 - Op de markt / Sur le marché (ME)

 Le Carnaval de Cassel (1976
6 - Tintamarre de carnaval
7 - Rythmes du réveil
8 - Chant du Reuze (harmonie municipale)
9 - Chant du Reuze (CA + HA)
10 - Lundi gras (harmonie)
11 - Vlaamse pot pourri (BO)

La musique d'agrément
12 - Vlaamse pot pourri (BO)
13 - Vlaamse pot pourri (BO)
14 - Vlaamse pot pourri (BO)
15 - 'T oude wuvege had een man / La vieille femme avait un mari (EE)
16 - 'K heb ik zo vele lieven / J'ai tant d'amoureux (EE)
17 - Dans maar vrouwtje / Danse petite dame (EE)
18 - 'K en hebben geen belde noch geen stoel / Je n'ai plus de lit ni de poële (EE)
19 - Alsik ik van Brussel kermisse / Ah moi qui vient de la kermesse de Bruxelles (HA)
20 - Sarelke, Sarelke, 'k heb het ik gezeid / Charles, petit Charles, je l'ai bien dit* (WI+ME)

La musique des rites saisonniers
 La cueillette du houblon
21 - En 't is al af, en d'hommel is af / Tout est cueilli, le houblon est cueilli (BO)
22 - En 't is al af / Tout est cueilli (ME)
23 - De snuifdoze en den kaffiepot / La boîte à prise et la cafetière (GO)
24 - Viva den kaffiepot / Vive la cafetière (ME)

 La moisson
25 - Keriole / Kyriole (appel) (ZE)

La musique du travail et de ses saints patrons
 La garde des vaches
26 - Peene Peene maai Lammens Koetjes / Et d'une pour Noord Peene (ZE)
27 - Drie koetjes de poten ebroken / Une vache vient de se casser les pattes (ZE)
28 - Je koe en zijn aan de schijte / Tes vaches ont la va-vite (HA)

 Saint Eloi
29 - Hooe Strooï de boer is in de rooi / Hooi Strooi est en peine pour trouver de l'argent (BO)

 A la ferme
30 - En 't van morgen vroeg op te staan / Demain il s'agit de se lever tôt (HO)

 Dans les rues
31 - Vershe plattjes / Des poissons frais (DU)
32 - Scharesliep, scharesliep / Le rémouleur (BO)
33 - Scharenlijpers, sharen messens om slijpen / Des ciseaux, des couteaux à aiguiser (BO)

 Le tissage
34 - Kadieke, kaddjakke (ME)
35 - 'T is van ikketak tiktaktierre / C'est le rikketakke (BO)
36 - O mijn god hierboven / Ô mon Dieu, d'ici en haut (GO)

 Sainte Anne
37 - En nuzen wagen is geladen / Et le chariot était chargé (BO)

La musique des rites calendaires
 Carnaval de Bailleul (1976)
38 - Lied van Gargantua / Chanson de Gargantua (BA)
39 - Musique de Bailleul

La musique d'agrément (suite) 
40 - Ah çà bonjour, mijn liefste dochter Katrien / Ah ça bonjour, ma fille préférée Catherine (GO)
41 - 'T was een keer een boer / Il y avait une fois un paysan (ES)
42 - En'k gingen lestmaal ann het jagen uit / Et dernièrement j'allais chasser (BA)
43 - Pierlala was naar Godsvelde gegaen / Pierlala était à Godewaersvelde (ME)
44 - Uit den oosten, uit des westen / En provenance d'est et d'ouest (EE)


les chanteurs :
BA, Bailleul : M. Dormieux - l'Harmonie Municipale - E. Schercousse
BO, Boeschèpe : M. Debruyne
CA, Cassel : H. Sansen (aussi HA) - Harmonie municipale
DU, Dunkerque : P. Jacquemet - Mme Renaud
EE, Eecke : M. Kerkhove
ES, Esquelbecq : V. Walline
GO, Godewaersvelde : A. Dagobert - A. Deturck - L. Dupont
HA, Hazebrouck : A. Davion
HO, Houtkerke : J. Bourry
ME, Meteren : D. Falghen
Ste Marie CA, Sainte Marie Cappel : E. Van Hee (aussi HA)
WI, Winnezeele : André Decreus (1907-1987) accordéoniste
ZE, Zermezeele : H. Bauden


Vous pouvez écouter ces collectages sur le site RADdO-Ethnodoc
ou me demander les fichiers







* à propos de cette chanson j'ai relevé cet article de 1911 du Nord Maritime :
« Manifestation mouvementée à Bergues – L’ex-équipe des « p’tits pois » réclame… La manifestation d’hier  – l’usine envahie. – l’Internationale et Chorle’t’che. - Depuis deux ans, existe à Bierne, près de Bergues, le long de la Colme, une fabrique de conserves. En ce moment de la saison l’usine embauche une centaine de femmes et enfants, pour l’écossage des petits pois. D’habitude, la direction de « La Semeuse » employait des gens du pays et complétait son chiffre nécessaire par des belges ; mais cette année, on embauche que des ouvrières du pays voisin. D’où, grand émoi parmi les journalières berguoises qui, d’un commun accord, décidèrent de manifester. Aussitôt dit, aussitôt fait. Drapeau tricolore en tête, une centaine de femmes et d’enfants, quittèrent Bergues vers 5 heures, et se rendirent à l’usine. En voyant à travers la grille, travailler les ouvrières belges, la colère déborda. D’une poussée, la grille fut ouverte et les manifestantes pénétrèrent dans la cour de l’usine. Prises de peur, les ouvrières belges s’enfuirent à travers champs et les nouvelles venues occupèrent les hangars, où, sur les claies étaient étendus des monts de petits pois. Une manifestante se détacha du groupe et là, le drapeau, sur la hanche, attendit les évènements. « J’y suis, j’y reste » avait-elle l’air de dire, imitant Mac-Mahon à Malakoff. Le directeur de l’usine téléphona à Bergues […] accompagné de quatre gendarmes à cheval arrivaient. Malgré l’arrivée des gendarmes le groupe de manifestantes ne bougea pas de la cour de l’usine et la maréchaussée attendit avec patience le bon vouloir des ouvrières. A tort ou à raison, le brigadier de gendarmerie voulut arrêter M. Arthur Barbier, de Bierne, qu’il accusait d’avoir provoqué le mouvement. Celui-ci, qui est chef de bande et embauche des ouvrières pour faire travailler en moisson, répondit que ce qui se passait ne le regardait pas. Il n’en fut pas moins appréhendé. Les choses se gâtèrent : une trentaine de femmes se détachèrent du groupe et, avec force horions, forcèrent les gendarmes à lâcher leur prisionnier.
Voulant éviter une bagarre, vu la surexitation extrême de quelques unes des manifestantes, le brigadier et ses hommes se contentèrent de barrer l’entrée de l’usine et stoïques, reçurent sans sourciller, une avalanche d’interpellations plus ou moins choisies. C’est grâce à leur sang froid que l’on n’eut pas à déplorer d’incident plus graves. Une demi-heure après les manifestantes quittèrent l’usine et reconduisirent Barbier à son domicile, à Bierne. Elles retournèrent ensuite devant l’usine, puis, le drapeau en tête, femmes et enfants prirent le chemin de Bergues, en entonnant l’Internationale. Sans doute, l’hymne révolutionnaire n’était pas encore assez connu, ni assez local, car bientôt, toutes en chœur, en suivant les bords verdoyants de la Colme attaquèrent avec ensemble un air flamand : « Chorle’t’che, Chorle’t’che… ». C’est en chantant que la colonne entra à Bergues, où de nombreux curieux attendaient au Pont Saint-Jean, cette arrivée sensationnelle. Il est vrai qu’à Bergues on n’est pas habitué à des manifestations de ce genre. Et puis ce n’était pas banal ! […] »


*****

CATÉGORISER UN RYTHME «FLAMAND » 

André-Marie DESPRINGRE 

(LACITO -CNRS) 

Résumé 

Le dilemme de l'artiste est d'un type tout à fait particulier : il doit pratiquer pour pouvoir mettre en œuvre sa compétence. Mais pratiquer a toujours un effet double : d'un côté cela le rend plus apte à réaliser tout ce qu'il est en train d'entreprendre ; d'un autre côté, à travers le phénomène de la formation des habitudes, il devient moins conscient de la façon dont il travaille (Bateson, 1977 : 178). 

Selon le psychologue américain Bruner (1991), « la culture donne forme à l'esprit » et il est remarquable que cet auteur place plus particulièrement les mythes et les récits au centre d'une nouvelle psycho-anthropologie de la cognition. L'étude des significations des multiples aspects d'une culture et d'une morphogenèse du sens lui semble ainsi essentielle au développement de la personnalité. Voilà une réaction bien légitime contre les excès d'une psychologie culturelle coupée de la réalité humaine et de sa propension à suivre les modèles naturalistes des neuro-biologistes. Cependant, dans cette manière d'envisager la cognition, la musique n'a pas encore droit de cité. La compréhension du monde de la musique n'appartiendrait-elle qu'aux musiciens et aux musicologues au sein d'un monde à part ? Les recherches scientifiques et cognitives sur la musique contribuent sans aucun doute à alimenter ce point de vue. 

Pour illustrer la question des relations entre musique, cognition et culture, je présenterai quelques résultats de mon expérience d'ethnomusicologue. Partant de l'hypothèse que la culture musicale des pays de France demeure fondamentale pour la formation des adultes et qu'il est donc important d'en étudier les systèmes, je présenterai les tenants et les aboutissants d'une étude rythmique que j'ai réalisée en Flandre française. Le processus de transformation qu'a subi la musique de cette aire géo-culturelle, au XXe siècle, s'explique tout d'abord par la double influence qui s'y exerce depuis des siècles : la romane, prépondérante au Sud et la germanique, au Nord. Dans quelle mesure ce contact de cultures a-t-il oblitéré l'existence même d'une musique flamande en France alors que, paradoxalement, ceux qui s'en réclament aujourd'hui croient s'y ressourcer ?. 


la suite :

lundi 21 décembre 2020

Orgues Florein

 

harmoniphone Albert Florein
collection Daniel Linard

Un grand souvenir [extraits]

Je n'en avais jamais vu de près, mais immédiatement, j'ai compris que c'était un orgue de forain. […] Une lettre arriva, timbrée de Sète et signée Paul Florein […] elle me disait qu'il était retraité, âgé, et qu'il vivait dans un petit pavillon à Sète où il s'était retiré pour se rapprocher de sa fille et de son petit-fils. Il disait encore que l'orgue dont je parlais était l'un de ceux qu'il avait construits, autrefois, dans l'atelier de Coudekerque-Branche exploité jusqu'en 1935 ou 1936 avec un frère. Les cartons spécifiques étaient de lui. […] L'orgue était prêt, révisé "j'ai modifié le jeu des bourdons, puis celui des basses, qui ne me plaisait pas, mais j'ai été estomaqué par le prix des peaux de chèvres pour les caisses […]

"Voyez-vous, jusqu'en 1928 ou 1930 à peu près, nous avions beaucoup de travail, avec les forains, très importants dans le Nord, puis en Belgique. Quand un orgue était en panne, ou bien on réparait sur place, très vite, ou alors il fallait sortir l'instrument pour le porter à l'atelier. Il fallait mettre alors en place un appareil en prêt, pour ne pas arrêter le métier, seulement les orgues étaient fort différents en genre, style ou tonalité. Alors, avec mon père, nous avions construit 2 ou 3 appareils très polyvalents avec une gamme étendue qui pouvaient remplacer, un temps, un peu n'importe quoi. C'est le cas du vôtre ; c'est un 41 touches qui couvre un éventail harmonique important. Alors j'ai noté des cartons en fonction de ça et on peut passer à peu près n'importe quoi. […] Vers 1931 1932, les électrophones sont sortis et en l'espace de 2 ou 3 ans les orgues n'ont plus rien valu. Nous avions en permanence 8 ou 10 appareils en atelier. Et, presque chaque jour un client nous appelait pour dire : "Non, je ne l'utiliserai plus, vendez-le, gardez-le, j'ai acheté un pick-up" alors j'ai dû tout laisser, vendre ce que je pouvais et à 70 ans, pour vivre j'ai appris à empailler les chaises, faire des canapés et des sommiers tapissiers."

Yves Dalmier

Musiques Mécaniques Vivantes n°50




extraits de l'album 33 tours Musique mécanique, collection Daniel Linard, 1983

Titres mentionnés sur la pochette : Valse, Mazurka, C'est pour mon papa, Mazurka (serait Fleurette), Intimité, valse et une Mazurka qui ressemble à une valse.


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Charles Albert Florein, le père de Paul, est né à Grande-Synthe en 1851, son père est originaire de Téteghem, sa mère fille de miliaire est née par hasard en Allemagne. Albert est d'abord charpentier à Heuringhem puis menuisier à Petite-Synthe en 1877 et à Loon-Plage après son mariage avec Elise Corsart, de 1879 à 1892. En 1897 il s'installe à Coudekerque-Branche, 21 rue de l'Eglise, il est toujours menuisier charpentier. Le couple a eu 7 enfants : Marie Jeanne (1881-1881), Maurice Joseph (1882-1967) Jeanne Sophie (1883-1973, Michel Charles (1886-1957), Gabrielle Marie (1888-1964), Paul Jules (1889-1971) et Anthime Léon (1892-1968). On ne sait pas comment il a apprit le métier de facteur de pianos automatiques et d'orgues de foire. La demande était forte avec 1914 (voir aussi la page consacrée à Simon Robino) La presse mentionne sa profession de facteur de pianos automatiques à l'occasion d'un litige fiscal en février 1924, pour défaut de déclaration de son chiffre d'affaire, le fisc lui réclame une contravention équivalente à 5 fois le montant dû. Son avocat plaide la bonne foi, mais le conseil de préfecture estime que la contrainte décernée tendant au paiement du quintuple du droit éludé est valable. En mai 1926, on annonce la liquidation générale d'instruments de musique de M. A Florein, 21 rue de l'Eglise, pour sortir d'indivision. Des pianos automatiques sont proposés à la vente à crédit, ainsi qu'un tour à fileter. Est-ce la conséquence d'un jugement défavorable ? Coïncidence, son épouse meurt en février 1923, et Albert décède le 5 mai 1927. Trois de ses fils reprennent l'affaire, dont la suite est racontée par Paul ci-dessus.

Christian Declerck

21 décembre 2020

sources : état civil, La Voix du Nord 8 et 15 septembre 1985, Le Nord Maritime 24 et 29 février 1924 et 20 mai 1926


Michel, Paul et Anthime Florein



mercredi 9 décembre 2020

Ambiance bretonne place Calonne

 


DUNKERQUE

Une nuit pluvieuse a saisi les remparts,
L’écluse, les canaux, les bâtiments de briques
Noircis par la fumée des fabriques
Et le beffroi sonore et les jardins épars.
On éteint les cafés de la place Jean-Bart.
Sur les quais ruisselants où les mâts nostalgiques
Dorment, las de leur course à travers l’Atlantique,
Ton cadran veille encore, ô tour du Leughenaer !
Une ombre glisse et c’est fini, plus rien ne bouge
Seul au quartier marin, des volets clos d’un bouge
Un bruit breton nasille et s’échappe alentour.
Et c’est le biniou d’un pêcheur de morues
Ivre, pleurant sa « lande et son clocher à jour »
Qui m’arrête pensif au milieu de la rue.
Place Calonne , minuit.

Poème de Ernest Reynaud (1864-1936)
Extrait du livre Je parle d’un pays de vent, Le Nord Pas de Calais et ses poètes.



Le bouge en question se situait sans doute dans une rue parallèle à la place, la rue des Casernes de la Marine, surnommée rue des p'tit's jup's pour ses nombreuses maisons closes, réputées et très fréquentées, mais on s'attend plus à entendre le son d'un piano automatique que celui d'un biniou. Etait-il vraiment breton ce joueur de cornemuse ?






mardi 8 décembre 2020

Les épinettes des Vosges

mis en ligne le 17/11/2020

mise à jour le 8/12/2020 : ajout des liens vers les enquête Lemaire/Dutertre



Toutes les épinettes ne sont pas "du Nord", certaines, plus rares, sont originaires des Vosges.

Vient de paraître : L'épinette des Hautes-Vosges, tradition - légendes - anthologies

par Jean-François Dutertre† et Christophe Toussaint



C’est en dépoussiérant des archives datant de 1957, que Jean-François Dutertre a remarqué que les épinettes des Hautes-Vosges n’avaient pas toujours été aussi rudimentaires que ce que le folklore local nous a laissé croire. Ses découvertes méritaient une actualisation des connaissances. Enquêtant à distance, Jean-François a sollicité la collaboration de Christophe Toussaint, facteur d’épinettes vosgien.
Ce dernier s’est pris au jeu et a apporté quelques planches à l’édifice, en présentant la vie et la production des « épinettiers » vosgiens les plus féconds du siècle passé.
Alors qu’une seul étude avait été jusqu’à présent effectuée en Suède, Norvège et Belgique, Christophe Toussaint a apporté sa contribution en modélisant les gammes utilisées sur des instruments à la fois aussi semblables et diversifiés que le sont nos Épinettes des Vosges.

Sommaire

•Préface par Valérie Klein, conservatrice du musée de la lutherie et de l'archèterie, Mirecourt
• L'énigme de l'épinette des Hautes-Vosges, par Jean-François Dutertre
• Anthologie de l'épinette, par Christophe Toussaint
• Biographies de luthiers vosgiens prolifiques au XXe siècle par Christophe Toussaint
    - Henri Poussier 1888-1964
    - Jules Vançon 1895-1979
    - Marcel Gaspard 1907-1982
    - Louis Georgel 1919-2005

à commander chez Gérard Louis éditeur

Louis Georgel, facteur d'épinette : ICI et ICI

Les liens mentionnés dans le texte :
Conférence de Patrick Gassamnn, sur les modes de diffusion du bois de résonance en Europe centrale pendant le 18e siècle

L'enquête de Jean François Dutertre est transférée aux Archives Départementales des Vosges : mais les fichiers ne sont plus consultables en ligne, on y trouve ce commentaire de J.-F. Dutertre : Les originaux de ces enregistrements ont été perdus. Une copie en a été retrouvée sur une bande magnétique en novembre 2015. Mme Gravier a été enregistrée quelques mois avant son décès survenu le 14 novembre 1970. Elle était née le 18 juin 1898. À l'époque de l'enregistrement, elle venait de perdre son mari. En deuil, elle avait décidé de ne plus jouer. Devant notre déconvenue, elle a accepté de nous donner une "leçon d'épinette". Pour compenser l'interdit qu'elle s'imposait, elle nous a permis de copier une bande magnétique dans laquelle elle s'était enregistrée elle-même. Jean-François Dutertre.

l'inventaire est ICI

on y trouve aussi le Fonds Dominique Lemaire 48 photographies de joueurs et luthiers

dont celle de Jules Vançon



dimanche 1 novembre 2020

L'épinette de Charles Rogie

17/6/2018 1ère publication
1/11/2020 mise à jour du lien de la méthode Rogie


photo J.-J. Révillion

Encore une épinette Coupleux !
Telle fut ma première réaction, lorsqu’on me présentait cette énième exemplaire évoquant au premier coup d’œil la production de cette célèbre famille industrielle tourquenoise. Vernie, en très bon état et de facture soignée, elle avait une allure plutôt engageante, avec sa clef d’accord d’origine conservée. Pas de décalcomanie, pas de bande de papier chiffrée sous les frettes avec la mention imprimée « épinette du Nord ». Mais quand même elle avait neuf cordes, ce qui est inhabituel (les épinettes du Nord en ont couramment sept). Et puis surtout, le vendeur qui m’annonce « je l’ai eue avec ce petit carnet », en m’exhibant un petit carnet en moleskine couvert d’une belle écriture manuscrite à l’encre. Et là, mon cœur d’épinettologue s’emballe : j’avais entre les mains un document exceptionnel, intitulé ni plus ni moins : méthode appartenant au cavalier ROGIE Charles au 14ème régiment de dragons, 1er escadron, 1er peloton, Sedan (Ardennes).


collection J.-J. Révillion


S’en suivent des explications très précises sur la façon de « jouer de l’épinette », avec la position des bras, l’utilisation d’un roseau pour appuyer sur les cordes avec l’index allongé, la main droite donnant les vibrations aux cordes au moyen d’une « écaille tenue entre le pouce et l’index » ; et des indications sur l’accord de l’instrument (ce qui est une première pour moi) les cordes du chant s’accordant en Sol, et les cordes d’accompagnement en Do mi pour la première puis sol et mi pour la quatrième. Après vérification par l’ami Christian Declerck, il s’avère que cette méthode est un recopiage mot à mot, manuscrit, de la méthode De Ruyck, méthode roubaisienne imprimée celle là, avec les mêmes indications sur l’accord de l’instrument.
S’en suivent 17 morceaux en notation chiffrée, mais là, hélas, pas de scoop, on est dans le répertoire archi connu : Au clair de la lune, J’ai du bon tabac, la Marseillaise, Carmen (toréador), Malbrough, Minuit chrétien, etc, pas de mélodie ni de danse traditionnelle notée… Mais en croisant* avec la méthode De Ruyck et la méthode Coupleux, imprimée elle aussi, on ne retrouve que 8 mélodies communes, ce qui prouve que Mr Rogie avait complété « sa » méthode avec son propre répertoire, et que c’était son aide mémoire. Ce document reste donc un témoignage rarissime qui nous renseigne sur le répertoire d’un joueur d’épinette du début du XXème siècle. A un autre endroit du carnet, on trouve la mention suivante ROGIE Wattignies près Lille Encore 51 et la fuite (ce qui fleure à 10 pas le décompte typiquement militaire du père Cent « avant la quille). En tous cas, notre cavalier caserné à Sedan est bien du Nord.

mention écrite le 29 juillet 1906, 51 jours avant sa libération


En y regardant de plus près, l’instrument n’est pas si Coupleux que ça : le choix des essences de bois (sapin massif de belle qualité pour la caisse : table fond et éclisses, orme pour la tête), la tête qui se termine en pointe unique et non pas en feston mamelonné, les éclisses un peu moins hautes que d’habitude. Et surtout, l’instrument n’est pas assemblé par clouage, mais collé, ce qui est du jamais vu sur une Coupleux, et les assemblages sont particulièrement soignés. Si on rapproche tout cela du fait que Christian a rapidement identifié notre homme comme étant menuisier de voitures, on peut aisément imaginer qu’il ait réalisé lui même l’instrument en copiant une Coupleux.
Bref, à mon sens on est en présence d’un instrument tout à fait intéressant, surtout accompagné de son petit carnet, ce qui permet de valider une utilisation de notre petite épinette dans le cadre des chambrées militaires, comme cela a déjà été authentifié par quelques cartes postales découvertes ça et là. Et la période de conscription de Charles Rogie permet une fois de plus de dater** la période intense de pratique de l’instrument vers la fin du XIXème et le début du XXème siècle, c’est à dire plus tôt que nous l’avions envisagé au départ (années 30) d’après les premiers témoignages récoltés dans les années 70. Je laisse le soin à Christian de vous livrer le résultat de ses recherches sur Mr Charles Rogie. Vous aurez même droit à sa photo, sans son épinette malheureusement.

Jean-Jacques Révillion, le 14 juin 2018


* voir ci-dessous
** il a fait son service militaire de décembre 1903 à septembre 1906 (voir la page, à venir, consacrée aux militaires épinettistes)






photos J.-J. Révillion


Vous pouvez télécharger la méthode ICI  nouveau lien  

Le répertoire commun [dépot légal]

- Au clair de la Lune
- J'ai du bon tabac
- Hymne national russe
- Malbrougk
- Marche lorraine
- C'était un rêve [1905]
- Bonsoir madame la Lune [1899]
- Carmen (toréador)
- Marjolaine [1894]
- Minuit chrétien
- Chant du départ
- La Marseillaise
- Frou frou [1898]
- Sambre et Meuse
- François, prends garde à toi
La Czarine [1889]
- La Brabançonne
- On ouvre demain [1937]

samedi 15 août 2020

Romainville et ses Fantoccini Français

Dunkerque le 21 décembre 1799 : le citoyen Romainville, artiste et directeur des Fantoccini français, sortant du Palais Egalité de Paris [ex Palais Royal], tient un jeu propre à amuser les grandes personnes et les enfants. Il varie tous les jours son spectacle, tant par les comédies-vaudevilles que les métamorphoses, les changements à vue, les ombres chinoises, les jeux pyriques [sic] et l’optique théâtrale ; Les parents y pouvaient en toute sureté y amener leurs enfants, chez le citoyen Malbosc, rue Sébastien.[1]

La salle Malbosc, rue Saint Sébastien,
était l'ancienne salle de la confrérie des archers
source : Dunkerque en Flandre, Jacques Tillie

Cette simple mention dans une étude sur le théâtre à Dunkerque, nous ramène aux débuts des spectacles de marionnettes à fils en France. Le citoyen Romainville est très certainement l'époux de Sophie Walmont "attachée" au théâtre des marionnettes du Palais Royal, mentionnée dans le texte suivant : 

Pygmées François (spectacle des). Les succès obtenus par les Fantoccini français, marionnettes qu’un nommé Caron faisait voir sur le boulevard du Temple, engagèrent quelques spéculateurs à faire construire en 1785, au Palais-Royal, un théâtre qu’ils nommèrent les Pygmées français, et d’y faire jouer Caron et ses marionnettes. Ils inaugurèrent leur salle par le Nouveau Prométhée, prologue en un acte avec couplets, et par Arlequin protégé par Momus, vaudeville en trois actes. Les marionnettes qu’on y montrait n’avaient que douze ou quatorze pouces de hauteur, et, comme à l’ancienne Troupe Royale des Pygmées, un acteur placé dans la coulisse parlait et chantait pour elles. Malgré la gentillesse de ces petits comédiens et l’habileté de Caron qui les conduisait malgré les feux, cascades, bouquets, gerbes, fusées et illuminations pyrrhiques dont le spectacle était enjolivé, les Pygmées français n’obtinrent aucune réussite (1). (Guide des amateurs et des étrangers voyageurs à Paris, par Thiéry, I, 284. Magnin, Histoire des Marionnettes, 180)
(1) Ce spectacle avait deux directeurs, l’un se nommait Jean François Spits, graveur de médailles et monnaies de France, et l’autre Baudin, facteur de clavecins. Des discussions d’intérêts s’élevèrent entre eux, et un procès s’engagea. L’une des pièces de la procédure nous fournit l’indication de presque tout le personnel attaché aux Pygmées français. Nous transcrivons ici leurs noms ; c’étaient : 
1° Jean François Féron, âgé de 33 ans, musicien ci-devant attaché au spectacle des Pygmées, et à présent attaché à celui d’Asthley, demeurant rue du Faubourg Sainte Anne, à l’hôtel des Charolois
2° François Gressier, âgé de 48 ans, musicien, demeurant place des Victoires
3° Pierre Marie Joseph Hurpy, âgé de 42 ans, machiniste, demeurant rue du Faubourg du Temple, acteur des Pygmées
4° demoiselle Marguerite Galimard, âgée de 25 ans, épouse du sieur Boudin, maître chandelier, actrice attachée au spectacle des Pygmées français, aux appointements de 700 livres, demeurant rue Montmartre
5° Pierre Hurpy fils, coiffeur et ci-devant acteur au spectacle des Pygmées, aux appointements de 600 livres, demeurant au Palais Royal
6° Pierre Gruier, âgé de 22 ans, musicien ci-devant attaché au théâtre des Pygmées, aux appointements de 600 livres, actuellement à celui de Beaujolais, demeurant rue Saint Denis
7° Pierre Siméon Caron, âgé de 28 ans, demeurant sous les arcades, acteur au théâtre des Pygmées, aux appointements de 600 livres et 3 louis de gratification
8° Sophie Walmont, âgée de 28 ans, épouse du sieur Jean de Romainville, acteur de province, elle attachée au théâtre des Pygmées français, aux appointements de 500 livres, demeurant rue Neuve Saint Sauveur
9° Pierre Louis Morin, âgé de 18 ans, musicien, demeurant au palais Royal, au théâtre des Ombres chinoises, ancien violon du spectacle des Pygmées, aux appointements de 600 livres
10° Laurent Saint Charles, musicien, âgé de 24 ans, demeurant au spectacle des Ombres chinoises, au Palais Royal, ancien premier violon du spectacle des Pygmées, aux appointements de 40 sols par jour
11° Jean Baptiste Fressancourt, âgé de 24 ans et demi, musicien, demeurant rue Coquillière, ancien joueur de clavecin au spectacle des Pygmées (archives des Comm. N°1264) [2]


[1]Le théâtre de Dunkerque depuis les origines jusqu’à nos jours par Albert Bril, BUF 1905 [Gallica]

[2]Les spectacles de la foire, théâtre, acteurs, sauteurs, etc. Emile Campardon, 1877 [Gallica]


Le Guide des amateurs et des étrangers  de 1787 nous donne quelques informations complémentaires :


Aa Palais Royal
Spectacle des Pygmées François, n° 105
Ce petit Théâtre réunit plusieurs objets qui, se variant à l'infini, le rendent agréable aux spectateurs. Il est placé au premier étage du n°105. La salle, propre et simple, n'a pour tout décors, qu'un petit ordre ionique à l'avant scène. Ce spectacle est composé,  1° de points de vues artistement faits, représentant les principales villes de l'Europe. Ces vues, disposées dans le genre théâtral, sont éclairées de manière que toute l'assemblée en jouit. 2° de feux, cascades, bouquets, gerbes, fusées et illuminations pirrhiques [sic] d'un genre nouveau et agréable. 3° des petits acteurs pantomimes, de douze à quatorze pouces de haut, bien faits et bien costumés, y représentent et jouent de petites pièces faites exprès. Ils sont si bien conduits et leurs gestes tellement d'accord avec les paroles déclamées dans les coulisses, qu'ils prêtent à l'illusion et font plaisir.
Spectacle des vrais Fantoccini Italiens n°53
Ce petit spectacle, sous la direction du sieur Castagna, Italien, est composé de petits Fantoccinis ou Marionnettes de dix-huit pouces de haut, qui exécutent des petites pièces et danses. On y entend du chant et des solo de mandoline dans les entractes. Les prix sont de 1 livre 16 sols aux loges, 1 livre 4 sols au parquet, et 12 sols derrière le parquet. La salle, proprement décorée, peut contenir trois cents personnes. Les décorations se changent à vue. On donne deux représentations par jour.

Spectacle de marionnettes à fils (XIXe ?)
source : Gallica

lundi 3 août 2020

Epinettes et Guimbardes et Lionel Rocheman

Je viens d'apprendre le décès de Lionel Rocheman et une bouffée de souvenirs est remontée. Fondateur du Hootenanny à l'American Center de Paris, il animait aussi, au début des années 1970, une émission à la télévision, Epinettes et guimbardes, où j'ai découvert la musique folk. J'enregistrais intégralement toutes les émissions sur K7 audio, mais quelques années plus tard, pour faire des économies, j'ai eu la mauvaise idée de les recopier en ne gardant que la musique, avec le résultat qu'on imagine et le temps n'a rien arrangé. Je pensais avoir jeté cette cassette mais je l'ai retrouvée il y a quelques mois au fond d'une caisse. La qualité ne s'est pas améliorée mais cela reste un témoignage de ce qu'on pouvait écouter à la télé française, et qui a sensibilisé de nombreux musiciens et chanteurs folk pendant la décennie '70.
C'est du "brut de décoffrage" et je n'ai pas gardé les noms des intervenants, on reconnait plusieurs fois Lionel Rocheman, Pat Wood et Kathy Lowe, Les Ménestriers, John Wright et bien d'autres que vous allez me nommer, merci d'avance.
le fichier de 90mn de musique est ICI

On trouve quelques extraits de cette émission sur Youtube, merci au fan club de Marcel Dadi








et sur l'INA, Maxime Leforestier


 


des extraits d'une conférence de François Gasnault sur l'œuvre de Lionel Rocheman





vous trouverez d'autres pages sur les liens de Lionel Rocheman  avec Dunkerque, sur ce blog

samedi 20 juin 2020

Actes de la journée d'étude, Arras 2016


chez l'éditeur l'Harmattan


Enfin publiées, les interventions de, presque, tous les intervenants de cette journée d'étude-atelier "Etudier, interpréter, valoriser les chansons anciennes" du 28 juin 2016, à l'Université d'Artois.
Il manque, hélas, deux textes, celui de Marlène Baly "La chanson traditionnelle : définition et passages dans le temps et dans les autres genres via la question des timbres" et celui de François Gasnault : "Chanson traditionnelle et milieux revivalistes : chronique discontinue d'une appropriation".

J'ai enregistré toutes les interventions de cette journée, les fichiers sont disponibles sur demande


Sommaire :

- présentation par Sophie-Anne Leterrier

- Claude Ribouillault : Anecdotique et daté : Universel et intemporel ? Chansons traditionnelles et chansonniers sur l'air de

- Michel Colleu : Trois siècles de compositions populaires d'un milieu social : les chants décrivant la vie des gens de mer

- Maxou Heintzen : La fin des complaintes criminelles

- Jean-Pierre Bertrand : Faut-il poursuivre le catalogage des répertoires chansonniers ?

- Hervé Dréan : Itinéraire d'un collecteur, notes personnelles et impressionistes

- Sophie-Anne Leterrier : Philippe Boulfroy, militant du picard et de sa tradition chansonnière

- Le duo Tintorèla (Florence de Fanti et Florence Launay)

- Sophie-Anne Leterrier : Choix de chansons en dialecte de Lille

- Brigitte Buffard-Moret : conclusion

plus d'infos sur les auteurs : ICI


cette publication est accompagnée d'un CD audio

01 - Chanson de Craonne
02 - Il pleut bergère (1915)
03 - Marmites
04 - La patache (Guadeloupe)
05 - Les matelots chauffeurs, de Yann Nibor
06 - Complainte de Nassandres (1898)
07 - Le crime de l'Immaculée (1899)
08 - La tuerie de Landreau (1913)
09 - C'est Monsieur de Chatelin 
10 - Vaillant dundee (1897)
11 - Bien le bonjour la compagnie
12 - Michel monta dans un pommier
13 - Su'l' bois, su'l' bois
14 - Mon paire me vòl maridar
15 - Que farà la molinièra ?
16 - Passat deman ieu me maridi
17 - Aval al fons del rivatel
18- A nou moéson, in na tüé in pourchiau
19 - Chez Joseph
20 - Ahite, ahite, toudi rade, rade
21 - 'Ch Cwincq
22 - El Clàron
23 - La comète de 1857, d'Alexandre Desrousseaux
24 - Les avantages d'être jeune fille, de Charles Decottignies
25 - La femme d'un colonneux
26 - Les Roubaignos sont toudis là, de Charles Bodart-Timal et Albert-Lucien Doyen


Source Gallica


jeudi 18 juin 2020

La machine infernale

publié le 22/5/2020
mis à jour le 28/5/2020, ajout de la description du double jazz-band et des infos généalogiques
mise à jour le 18/6/2020, ajout d'une photo de Paul Vandeputte


pour Thierry

C'est le nom que donne Charles Verstraete à un sytème de percussions avec commandes aux pieds utilisé dans la région du Nord autour de Roubaix et Tourcoing. Il nous en donne un témoignage vécu :



Riton Jazz, Arras
collection personnelle
Vers 1900, certains accordéonistes du Nord de la France se servaient d'une basse aux pieds, inventée en Belgique. Les accordéonistes de bals se faisant souvent accompagner par un batteur (grosse caisse, tambour et cymbales). Mais, estimant que deux hommes étaient encombrants dans les cafés et aussi plus chers, quelqu'un imagina le "jazz aux pieds" et quand l'accordéoniste était le patron, l'économie était substantielle.
Les premiers à construire ces jazz aux pieds furent Octave Créteur(1), 81 rue de l'Epeule et surtout Charles Blomme(2), tous les deux nés à Roubaix en 1885. […]
L'ampleur de la grosse caisse et du tambour ajoutait de la puissance au son. Sur les premiers modèles, les commandes étaient déclenchées par des ficelles. Par la suite, on adopta une soufflerie. L'engin était démontable pour permettre au musicien de se déplacer avec sa batterie, notamment lorsqu'il faisait une tournée. Puis vint l'électricité qui allégea l'ensemble en donnant cependant plus d'importance au ponton à commande sur lequel était installé l'artiste. Son genou droit actionnait le roulement de tambour, le gauche les castagnettes, les pieds donnant le coup de cymbales et déclenchant diverses combinaisons. Pour m'en être servi, je puis assurer qu'il fallait sortir autant de l'école de Joinville que du conservatoire de musique !
Mon père, qui débordait toujours d'initiatives et dont l'esprit inventif était toujours aiguisé, s'avisa de demander à Charles Blomme, un jazz pour deux accordéonistes avec, donc, deux pontons à commandes, agrémentés - et là était le génie - d'ampoules de couleurs variées, synchronisées avec les pédaliers et les roulements qui étaient reliés - mon père était un perfectionniste - aux éclairages de la vitrine du café. Ainsi, qu'on fut au pont Morel ou à la Fosse-aux-Chênes, la lumière était visible, signifiant qu'on jouait "chez Verstraete". Ce jazz, une machine infernale, fut le dernier chef-d'œuvre de Charles Blomme.
Raymond Verschuren, qui possédait aussi un jazz Blomme (classique) avec lequel, dans l'Oise, il faisait les bals ambulants dits "parquets", se vit offrir un jour par son fils André, la fameuse "machine infernale" rachetée à mon père. Au décès de Raymond, André la trouva dans l'héritage, avec le classique. Au cours d'une rencontre, à l'occasion d'une émission au Théâtre de l'Empire, à Paris, je suggérai à André d'en faire des reliques que Roubaix serait heureux d'accueillir. Avec Bruno Gaudichon, conservateur du Musée d'Art et d'Industrie, nous nous retrouvâmes à Creil, en 1995, pour récupérer ce don. […]

De l'Accordéon au trombone, Charles Verstraete, 2000




collection Charles Verstraete




(1) Octave Créteur : fils d'un tisserand et d'une bobineuse, il a exercé les professions de menuisier et cafetier. Sa fiche matricule nous donne plusieurs adresses, 1905 : 62 rue de l'Industrie ; 1911 : 112 rue de Soubise ; 1906, 106 rue des Longues Haies ; 1920 : 81 rue de l'Epeule (photo de son café sur le site de la médiathèque de Roubaix) ; 1928, Orroir (B), place de l'Enclus ; 1934, Mouscron (B), 164 chaussée de Lille ; en 1934 il est mentionné à Ostende. Il est mort à Mouscron en 1976.

(2) Charles Blomme : ses parents sont Belges, son père est né à Bruges, il sera soigneur dans une filature comme lui, c'est la profession que l'on relève sur ses deux actes de mariages en 1904 et en 1912 et les naissances de ses quatre enfants jusqu'en 1914. Exempté de service militaire pour faiblesse générale, c'est dans les divers actes de naissances et mariages que j'ai relevé ses adresses à Roubaix, ainsi que ses professions : 1905, rue d’Alger ; 1907, rue du Vieux Hutin ; 1914, rue de Beaurewaert ; 1919, 5 boulevard de Belfort, luthier ; 1926, Roubaix, ouvrier luthier ; 1930, 185 rue de Cartigny musicien.  Il meurt à Herseaux (B) en 1970. Son  deuxième fils, Charles (1907-1972) se déclare violoniste lors de son mariage, il est alors domicilié à Colmar. J'ai relevé que sa seconde épouse, Clémence Platteau est décédée en 2017 à Wattrelos, elle aurait pu apporter son témoignage.


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Le jazz-band Blomme du Musée de Roubaix

1. Présentation historique
Le projet de restauration du jazz-band a été lié à l'origine au don de l'instrument au musée de Roubaix en 1993. Le donateur, accordéoniste professionnel, avait en effet exprimé le souhait que la fonction sonore du jazz-band puisse être rétablie en vue de le faire rejouer dans le cadre de manifestations culturelles, renouant ainsi avec la tradition locale d'animation des cafés de Roubaix au début du siècle. Il faut savoir, en effet, que les jazz-bands à cette époque contribuaient largement à l'animation des cafés, établissements très populaires fréquentés par la classe ouvrière, l'histoire des cafés dans les villes du nord étant elle-même très liée à l'essor de l'industrie textile. A ce titre il constitue un témoignage exemplaire d'un type de vie sociale très représentative du contexte économique de la région. Le jazz-band donné au musée faisait lui-même partie du mobilier d'un café de Roubaix, le café Verstraete ; l'intérêt qu'il représente sur le plan sociologique et le fait qu'il a été produit par une fabrique locale justifiait pleinement sa présentation et sa mise en valeur dans les collections du musée.
Le jazz-band provient de la fabrique Blomme, comme l'indique une inscription sur la peau de la grosse caisse. Cette fabrique, qui était située rue de Lannoy à Roubaix, a dû produire un certain nombre d'instruments comparables à celui-ci, mais nous n'en connaissons actuellement qu'un très petit nombre d'exemplaires. Nous manquons également d'informations concernant sa date de fabrication. Le style du décor ainsi qu'une photographie ancienne du jazz-band devant la fabrique Blomme permettent de situer sa construction aux alentours de 1914.

2. Description

Le jazz-band se compose d'un corps central et de deux estrades placées de chaque côté. Le corps central présente une structure en bois peint de forme pyramidale couronnée d'une lyre décorative. Plusieurs éléments acoustiques de type percussions occupent des différents niveaux : sur la partie inférieure un woodblock encadré de deux soufflet comportant chacun six grelots. Au-dessus une grosse caisse caisse dont la peau, côté face, est recouverte d'un décor peint représentant une figure féminine jouant de la harpe et entourée de l'inscription "Charles Blomme - constructeur - Roubaix". Sur l'un des deux batteurs en bois, au revers de la grosse caisse, sont fixés quatre disques métalliques rappelant ceux des tambourins à sonnailles et un grelot. Au-dessus de la grosse caisse une cymbale ornée au centre d'un gros cabochon en verre facetté de couleur rouge évoquant un rubis. La cymbale est encadrée de deux castagnettes. Au niveau supérieur, une caisse claire surmontée d'un triangle suspendu à un crochet en métal fixé au sommet de la lyre complète cet ensemble qui repose sur un socle en bois peint sur lequel figure l'inscription "jazz-band idéal accordéoniste". Ce socle contient un dispositif pneumatique comprenant des tuyaux en caoutchouc reliés aux soufflets des différents éléments acoustiques, ainsi qu'un système électrique permettant l'allumage intermittent des ampoules placées à divers endroits du jazz-band : quatre ampoules à l'intérieur de la grosse caisse, une ampoule située à l'intérieur du cabochon de la cymbale, douze ampoules décoratives de couleur rouge disposées sur le pourtour du jazz-band.
Les estrades sont également en bois peint et comportent à l'avant une série de douze pédales rondes disposées sur deux rangées (une rangée de sept pédales au bord, une rangée de cinq pédales plus en retrait). Sur chaque côté des estrades, à l'avant, se dressent deux montants comportant un bouton contact électrique à chaque extrémité sur leur face interne. Les quatre boutons, avaient tous disparus et ont du être refaits. Douze soufflets sont placés à l'intérieur de chacune des estrades ainsi que des contacts électriques. Sur ces estrades s'installaient deux accordéonistes qui, tout en jouant, actionnaient la soufflerie en appuyant avec les pieds sur les pédales du plancher, mettant ainsi en marche simultanément les dispositifs acoustique et électrique du jazz-band. Le frappement de la grosse caisse entraînaient automatiquement l'éclairage de celle-ci et l'impulsion donnée avec les genoux sur les deux boutons contacts des montants latéraux permettait d'obtenir un effet acoustique particulier, différent de celui obtenu par les soufflets (roulement répétitif sur le woodblock et la caisse claire). Chaque estrade est reliée à la partie acoustique du jazz-band par douze tuyaux en caoutchouc assurant la transmission pneumatique et par des branchements électriques. Notons que deux circuits électriques distincts sont intégrés dans le jazz-band : l'un fonctionne avec le courant normal et permet les différents effets lumineux, le second correspond aux contacts genoux et fonctionne avec un courant à basse tension obtenu grâce à deux transformateurs.
Il convient de souligner que ce jazz-band n'entre pas dans la catégorie des instruments de musique mécanique automatiques comme la plupart des jazz-bands connus puisqu'il fonctionne uniquement par l'intervention des musiciens accordéonistes pour lesquels il fait office d'accompagnement et constitue en quelque sorte un petit orchestre intégré. […]

extrait de :
La restauration des jazz-bands du musée d'art et d'industrie de Roubaix. par Claire Combe et Douglas Heffer
in :


merci à Philippe Nasse qui m'a transmis ce document


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Agnès, lectrice fidèle, m'a signalé cette photo publiée dans le livre d'Hubert Boone L'Accordéon et la basse aux pieds en Belgique, éditions Peeters, Louvain, 1993. On y voit  Paul Vandeputte, de Moorsele (Flandre Occidentale), photographié en 1988 avec son accordéon bisonore Callewaert et son Jazz Band Idéal, fabriqué par Charles Blomme à Roubaix.





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Jeannot Perret (1928-2021) accordéoniste et grand collectionneur d'accordéons, nous a quitté en novembre 2021. On le voit ici poser à côté de son jazz-band Charles Blomme. 


photo Vicky Michaud