Début 2004, le petit monde des chercheurs-collecteurs-collectionneurs en épinettes du Nord est en ébulition : L’un d’entre nous(1) est contacté par Olivier Carpentier, descendant des frères COUPLEUX, étudiant en histoire, et auteur d’une thèse sur la saga industrielle de la famille.
Le centre d’Histoire Locale de Tourcoing organisait en effet une exposition « l’aventure industrielle des frères Coupleux » du 10 avril au 26 Juillet 2004 dont il était le commissaire, et il souhaitait disposer d’épinettes Coupleux pour cette exposition. La sortie d’un bouquin faisant le point sur les recherches historiques d'Olivier Carpentier était également prévue.
Nous imaginions pouvoir disposer enfin d’archives de première main sur ces fameuses épinettes COUPLEUX, leur période de fabrication, les volumes de production, les réseaux de revendeurs éventuels, leur lieu exact de fabrication(2). Nous disposions jusque là de peu d’éléments précis, à part leur relative fréquence dans nos découvertes, l’existence de trois modèles différents(3), et enfin l’existence d’une marque visible sur la plupart d’entre elles, sous forme de décalcomanie « Coupleux Frères à Tourcoing » ou encore la marque « tonnerr ». Dernière chose, des encarts publicitaires fréquents dans la presse musicale locale (notamment la Gazette Musicale du Nord) témoignaient d’un certain sens commercial de la maison Coupleux qui tranchait avec l’aspect artisanal de la production habituelle des épinettes du Nord.
deux versions du titre de la revue
Collection personnelle
Le contact établi à l’époque avec Olivier Carpentier, par téléphone, puis lors d’un entretien à mon domicile allait rapidement tempérer notre enthousiasme. Il était en effet à la recherche d’ « experts en épinettes » et nous avait contacté car le livre de l’épinette du Nord avait été sa principale source concernant cette petite partie de la production de l’entreprise familiale.
A partir du modeste atelier d’horlogerie créé en 1865 par le fondateur Pierre Coupleux, ses 3 fils allaient à partir de 1900 surtout se faire connaître comme fabricants de boîte à musique, de phonographes et de cinématographes. Ils allaient obtenir le monopole pour l’importation du piano mécanique Pianola, et créer après la première guerre mondiale la seule usine de fabrication de piano et orgue au nord de Paris. L’un des frères (Eloi, l’inventeur) allait même créer le « premier orgue electronique de l’histoire ».
La firme aura connu une grande prospérité jusqu’à 1935 puis connaîtra la faillite avec la grande crise économique de l’époque, ce qui sera vécu comme un traumatisme et une véritable opprobe par la famille. Le magasin Coupleux à Lille, situé rue Esquermoise, continuera à vivoter comme magasin de musique jusqu’en 1997, la maison mère à Tourcoing ayant disparu depuis belle lurette. Toutes les archives de l’entreprise seront dispersée et brûlées lors de la liquidation de ce dernier magasin Coupleux en 1998, un an ou deux avant que Olivier Carpentier ne commence ses recherches sur l’histoire familiale.
Et l’épinette dans tout ça ?
Les recherches du petit-fils d’un des frères Coupleux allaient par conséquent surtout porter sur les témoignages, souvenirs et archives conservées par la famille. Et il faut bien reconnaître que notre petite cithare à touche y apparaît plutôt de façon anecdotique. La meilleure preuve étant que les principaux éléments que l’on trouve sur l’épinette dans le livre de Olivier Carpentier sont tirés de nos propres recherches, et trouvées dans le livre sur l'épinette du nord. Mais les recherches d'Olivier Carpentier ont cependant permis d’établir des informations inédites, et des éléments chronologiques tout à fait interessants :
- 1865 : création d’un atelier d’horlogerie et de réparation par Pierre Coupleux. D’après Olivier Carpentier, c’est sans doute lui qui a débuté la fabrication d’épinettes à partir de 1895.
- 1900 : décès de Pierre Coupleux qui laisse ses trois fils ainés, agés d’une vingtaine d’années, seuls maitres à bord.
- Les épinettes étaient bel et bien fabriquées à Tourcoing, Olivier Carpentier est formel là dessus. L’atelier était situé rue de la Tossée à Tourcoing, et disposait d’une force motrice à vapeur(4). Il existe une photographie de l’atelier reproduite dans son livre, on y voit des machines à bois (mais pas d’épinettes).
- Un catalogue daté de 1908 représente sur une page(5) deux modèles d’épinettes connus (simple et double caisse), et trois modèles complétement inconnus à ce jour.
- En 1908 est créé le magasin de Lille et voit apparaître la marque « Coupleux à Lille ».
- 1910 : dépôt de la marque « TONNERR » [pour ses phonographes]
- 1935 : fin des activités de fabrication pour cause de faillite.
première publicité parue en 1922
Les recherches d'Olivier Carpentier auront ainsi permis de préciser la période de fabrication des épinettes Coupleux (1895-1935), permettant de faire remonter à la fin du XIXe et au début du XXe siècle la vogue et la diffusion de l’épinette dans la région du Nord, alors que l’on avait plutôt tendance à situer cette période entre les deux guerres mondiales. D’autres découvertes (de catalogues de vente par exemple) sont d’ailleurs venus confirmer cette avancée dans le temps de la pratique de l’épinette dans la région du Nord de la France.
Jean Jacques Révillion, chercheur épinettologue.
article paru en 2006 dans la revue Carnets de notes, publiée par Thierry Legros
article paru en 2006 dans la revue Carnets de notes, publiée par Thierry Legros
Notes :
(1) Patrick Delaval, un des principaux auteurs du livre sur l’épinette du Nord
(2) L’hypothése d’une provenance Vosgienne possible, en raison de la ressemblance avec les Val d’Ajol avait même été émise dans le livre sur l’épinette du Nord)
(3) Simple caisse, double caisse (avec résonnateur en forme de guitare), et modèle "tonnerr".
(4) Une véritable innovation à l’époque.
(5) Reproduite ci-dessous.
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