mercredi 1 avril 2015

Une conférence qui dérape


Damien Top, musicologue et ténor, l'annonçait déjà dans l'article de la Voix du Nord qui présentait sa conférence "la vie musicale à Wormhout au XIXe siècle" le 22 juin 2012 "l'atmosphère musicale […] y était bien différente de celle des musiques traditionnelles et du folklore artificiellement réinventé au milieu du XIXe siècle"
Je savais déjà qu'il  défendait une position selon laquelle Edmond de Coussemaker n'appréciait pas la musique folklorique, il l'avait démontrée dans sa conférence de Bailleul, que vous pouvez obtenir sur cette page. J'étais prévenu, mais Damien Top alla largement au delà ce soir là et en rentrant  j'ai tout de suite écrit une réponse que j'ai envoyée à l'organisateur de la conférence, le Comité Flamand de France, pour lui demander de la publier dans son bulletin, avec une éventuelle réponse de Damien Top.
Ce texte a été diffusé aux membres du Conseil d'Administration du Comité Flamand, en attendant une réponse.
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La réponse n'étant jamais venue, je mets ce texte à la disposition de tous
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Répondant au souhait de Damien Top qui a constaté, au cours de sa conférence donnée à Wormhout sur l'analyse du fonds des partitions de la famille Blanckaert, n'avoir pas trouvé de traces de chants ou de musique populaire dans ce répertoire d'une famille bourgeoise, et son souhait d'entreprendre des recherches sur le bien-fondé du principe de la spontanéité de la création de la musique populaire qu'a voulu démontrer Edmond de Coussemaker, je souhaite ici commenter ses propos en apportant quelques élements critiques personnels et d’autres provenant de travaux de chercheurs qui ont publié des résultats d'investigations scientifiques en ce domaine passionnant
Cette dernière conférence s’est déroulée parfaitement. A partir de quelques partitions provenant d’un fond fragmentaire d’une famille wormhoutoise du XIXe siècle, il a laissé entrevoir l’environnement musical de la bourgeoisie de l’époque. Quand, à dix minutes de la fin, il nous présente une partition d’Alfred R…, qu’il idendifie comme étant Alfred Roland, le chef d’un chœur de 40 montagnards béarnais, célèbre chorale de Bagnères de Bigorre, qui a sillonné la France et l’Europe au milieu du XIXe siècle.
quadrille d'Alphonse Leduc, collection personnelle
Et là, Damien Top digresse, après avoir affirmé que : “les montagnards portaient un costume (béret bleu, blouse serrée à la ceinture, pantalon blanc) qui sera à l’origine du costume traditionnel basque, [mais où a-t-il trouvé cela ?] qu’ils chantent un répertoire pyrénéen fabriqué de toute pièce”, il en déduit là l’origine de l’invention du folklore. Il aurait pu s’arrêter là, mais il poursuit en s’attaquant à Edmond de Coussemaker et à l’influence des frères Grimm qui est à l’origine de son collectage de chansons en Flandre Française, puis il enchaîne : “On vit actuellement sur ces théories du peuple qui crée spontanément sa musique et qui la transmet intacte de génération en génération, ce sont des théories qui ont été un petit peu contestée à la fin du XIXe siècle par Meyer, un autre penseur allemand et sa théorie de la réception, lui considérait en fait que le peuple reçoit les œuvres de compositeurs savants ou des œuvres déjà écrites, qu’il les transforme un peu à sa façon et les véhicule de cette manière. Il y a donc un nouveau regard à porter sur toute la tradition folkloriste telle qu’on l’entend dans les différents festivals aujourd’hui. Un travail d’examen un peu scientifique à faire là dessus. Le président du CFF va presque s’aveugler sur certaines chansons qu’il va collecter, parce qu’il veut à tout prix prouver que les poètes naturels sont des poètes sans le savoir, que leurs mélodies étaient le résultat d’inspiration spontanée ainsi qu’il l’écrit dans la préface de son recueil. Mais de nombreux airs qu’il a collectés sont finalement devenus populaires par adoption et on peut, dans certains cas, retrouver un compositeur qui est à l’origine de cet air qui a été transformé et adapté avec des textes différents, en flamand par exemple. Donc qui ont une origine identifiable pour certains parfois. Ça peut être une antienne grégorienne ou aussi un auteur patenté. Ainsi sous les paroles flamandes, le fredon “Ton humeur bonne Catherine”, c’est tout simplement un air de Déon qui écrit ça en 1712, on trouve aussi “Een fraeye man”, c’est une contredanse parisienne “Marie trempe ton pain” qui date du tout début XIXe. Cette idéologie qui est issue [d’un mouvement] allemand, qui voulait faire la distinction entre la nature, la culture, un art populaire et un art savant, tout appelle une réévaluation de toutes ces collectes.” Et il termine en disant : “J’aurais bien aimé trouver quelques collectages en flamand dans tout ce fond de partitions.”
Tout ceci appelle plusieurs remarques :
- Alfred Roland n’a jamais présenté sa chorale comme étant un chœur pyrénéen traditionnel, il était de notoriété publique qu’il composait lui-même tous les chants. A. Roland est issu du mouvement orphéoniste impulsé par le parisien Guillaume Louis Bocquillon (alias Wilhem) dans les années 1830. Et si les chants d’A. Roland ont été adoptés ensuite par les Bigourdans, cela n’en fait pas pour autant des chants traditionnels. Est-ce que le Petit Quinquin est une chanson traditionnelle ? non, c’est surtout une chanson populaire.
- l’invention du folklore : oui, il y a des folklores qui ont été inventés de toutes pièces, voir le livre de Eric Hobsbawm, Terence Ranger, l’Invention de la tradition, mais, peut-on généraliser pour autant  et affirmer que tout a été inventé ?
le peuple ne crée pas spontanément : je suis d’accord avec Damien Top le peuple ne crée pas, de même que la bourgeoisie ou toute autre communauté, c’est bien un individu qui crée, qui est à l’origine. Patrice Coirault l’a très bien démontré dans son livre : Recherches sur notre ancienne chanson populaire traditionnelle, à propos de la formule “le peuple ne crée pas” en 1933. Yvon Guilcher trace les grands traits de cette théorie dépassée dans une émission diffusée sur France Culture en 1990 : “On la trouve dans Gaston Paris, Joseph Bédier, Anatole Loquin, qui affirment qu’il n’y a pas de culture populaire, il n’y a que la culture savante dégradée en se popularisant, tout ce qu’on trouve n’est que le reflet de la société dominante. La résurgence de ces théories [dans les années 1990] vient des enseignements d’universitaires peu familiers des enquêtes de terrain.” Une autre théorie, diffusée par Davenson, “postule que de tout temps il y a eu un va et vient entre l’élite et le peuple, pourquoi pas ?, mais comment concrètement ? Quand on parle des milieux traditionnels, il ne faut jamais oublier qu’ils sont plusieurs, ils sont très différents, les problématiques de la Basse Bretagne ne sont pas du tout celles de la Provence, c’est même le contraire. Il faut d’abord les décrire, pour les expliquer il faut les comprendre, il faut observer. On a affaire à des universitaires qui raisonnent. Ce qui leur paraît logique est asséné comme étant vrai. Le va et vient entre l’élite et le peuple ? : Davenson établit bien le "va" pas le "vient", il montre tout ce que le peuple a emprunté à l’élite pas l’inverse. De plus tout ce qui chez Davenson est connaissance et description vient de Patrice Coirault [en oubliant souvent de le citer] Tout ce qui est de Davenson est spéculation gratuite. On ne peut pas parler de chanson folklorique si on n’a pas rencontré de chanteurs traditionnels, si on n’a pas fait d’enquête.
les erreurs de Charles Edmond de Coussemaker : comme l’écrit Conrad Laforte, dans Poétique de la chanson traditionnelle française, 1976 : “le fait de trouver quelques chansons littéraires dans un recueil n’infère pas qu’il soit complètement littéraire […] ces erreurs involontaires peuvent contribuer à discréditer le folkore auprès de certains lettrés disposés à généraliser, mais pour nous [ces erreurs] nous rassurent puisqu’elles ne dépassent pas le dixième des chansons recueillies malgré les fumisteries intentionnelles.”
- quant à l’absence de partition folklorique ou de collectage dans le fond Blanckaert, elle ne m’étonne pas, c’est le contraire qui m’aurait surpris. Pensez-vous qu’un bourgeois mélomane du XIXe va s’intéresser à ce que chante sa cuisinière ou son jardinier ? n’est pas de Coussemaker qui veut.
En résumé, partir d’une observation, ajouter quelques erreurs d’un collecteur et en tirer une théorie générale sur la chanson traditionnelle, voire l’étendre à toute la pratique des musiques folk actuelles, me semble quelque peu exagéré. Certes le débat n'est pas nouveau, mais s'il avait le grand intérêt de nous obliger à mieux connaître la situation réelle de la musique en Flandre, nous y gagnerions tous. Le Comité flamand aurait joué son rôle de société que depuis le XIXe siècle on appelle "savante", c'est-à-dire de personnes dont le but est d'apporter de l'information nouvelle et fiable afin d'éviter les jugements à l'emporte-pièce et même parfois les exploitations fallacieuses.
Christian Declerck
merci à Jean-Pierre et Michel pour leurs conseils avisés
et à Patrice pour ses encouragements
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et les Montagnards sont toujours là !



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