samedi 25 novembre 2023

Gustave Deregnaucour, chansonnier et marchand de mouron

Providence des "canariens" et camarade des petites modistes - Comment Gustave Deregnaucourt est devenu marchand de mouron - Il est aussi chansonnier. 


Depuis qu'il passe sous mes fenêtres, j'ai bazardé mon réveille-matin. Ponctuel comme un bureaucrate, il débouche tous les matins, dès neuf heures, de la rue du Faubourg-de-Roubaix. Et de la rue qui s'éveille, dans la belle matinée enthousiasmée de soleil, sa voix joyeuse s'élève. Je saute à bas du lit et me voilà, grâce à lui de bonne humeur pour toute la journée...
Et j'imagine qu'il doit être partout aussi bien accueilli. Toutes les Mimi et toutes les Lisette [--?--], accrochent à la fenêtre, au-dessus de deux géraniums, la cage où s'ébat leur canarien, et aussi tous les petits oiseaux prisonniers, qui, petits clowns jaunes ou rouges, font d'amusantes pirouettes en piaillant sans trêve, piquent des têtes dans leur mangeoire et renversent leur seiche, doivent l'attendre à chaque rendez-vous avec une égale impatience... Et lui s'en va, le long des seuils, le pantalon serré aux chevilles, la casquette en arrière, le nez en trompette et la voix claironnante... Un grand diable de panier carré, — aussi grand que celui de feu Croquemitaine, qui avait la bizarre manie d'y loger des petits enfants, — brinqueballe dans son dos suspendu à son épaule par une vieille corde qui s'effiloche. Et il fait de grandes enjambées, avec un déhanchement de tout son corps. Il regarde toujours en l'air et je crains qu'un jour il ne lui arrive malheur : qu'une voiture l'écrase ou qu'il tombe du trottoir. Mais il est capable de vous dire, sans jamais se tromper, combien de cages et combien d'oiseaux il y a dans chacune des rues de Lille.

L’autre jour, j’ai invité le marchand de mouron à prendre une chope… avec la sournoise intention, bien entendu, de lui « tirer les vers du nez ». 
— Je m'appelle Gustave Deregnaucourt [sic], m'a-t-il dit et je suis né à Lille le 24 février 1870. Mon grand-père, Cyrille Deregnaucourt, était architecte-expert, nommé par le Tribunal de commerce de la ville de Lille. J'ai été successivement apprenti-imprimeur, pâtissier, serrurier, boulanger, menuisier, « chasseur » dans un café et chasseurs au 5e Bataillon… C'est en revenant du service que je me suis mis marchand de mouron.
- Tu verras, petit, m'avait dit le père Daubresse, un vieux marchand de mouron, que c'est un bon métier... Tu cueilles ton mouron dans les champs, sur le bord des routes et c'est tout profit pour toi, il n'y a guère de concurrence, puisque nous ne sommes que trois. Et tu ne dépends de personne, tu es libre et tu prends l'air... » 
- Ah ! si je l'ai pris, l'air, depuis ce jour-là ! Une brave fruitière de Saint-Maurice me donna une hotte et tous les jours j'allai cueillir mon mouron au Jardin Botanique. Ma « vocation » était trouvée... Maintenant, j'habite au « Sapin vert », près de Roubaix. Et tous les jours je viens à Lille à pied. Je fais 25 kilomètres par jour, Monsieur, depuis dix-sept ans ! Aussi je n'ai jamais été malade. Et je chante toujours comme mes petits amis les oiseaux. Car, vous savez, je fais aussi des chansons. J'ai composé des complaintes sur le Crime de Croix, la Catastrophe de Courrières, la Marche des chasseurs à pied, les Grandes manœuvres, et la dernière sur ce père dénaturé qui a jeté ses deux petits garçons dans les fortifs, l'autre jour, à Paris... Je ne compte pas toutes les chansons que j'ai faites pour vendre mon mouron, sur des airs connus : Dans ton p'tit panier, le P'tit QuinquinMa Ninette... Tenez, voici celle que je chante en ce moment sur l'air de La  Petite Tonkinoise. 


Mes p'tites dames, 
J'vous proclame, 
Je suis le marchand de mouron nouveau, 
Accourez tous à ma boutique, 
J'ai du mouron blanc magnifique, 
Venez vite 
J'vous invite, 
C'est du mouron d'mon jardin, 
Je l'ai cueilli fraîchement c'matin, 
Pour régaler vos serins. 

Refrain

Allons, v'nez vite, mes p'tite pratique, 
Accourez tous, accourez tous à ma boutique 
Achetez du mouron nouveau 
Pour plaire aux petits oiseaux, 
La verdur' ça les ravigotte 
J'la vends pas chère, un sou, la la, un sou la botte, 
Si vous voulez les régaler 
Mon mouron y est toujours frais. 

Là-dessus, le joyeux drille me serra la main et poursuivit sa route. Je le vis qui s'arrêtait un peu plus loin. Il fit glisser son panier le long de son bras, le déposa au pied d'un arbre et se mit à chanter. Et quand il eut fini, une grosse maritorne, le ventre secoué d'un bon gros rire de bienvenue et les poings sur les hanches, sortit d'un couloir et lui donna deux sous.
André FAGE.
merci à Jean-François "Maxou" Heintzen

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Gustave Deregnaucour (sans T) est né à Lille le 24 février 1870, 19 rue des Trois Molettes. Auguste perd sa mère à 11 ans puis son père quand il a 16 ans. Sa fiche matricule est le reflet de la vie difficile d'un orphelin. 2 condamnations par le conseil de guerre pour refus d'obéissance, puis deux autres pour vagabondage. Il déménage presque chaque année : 1890, Lille, 39 rue des Robleds ; 1899, Lille, 15 rue Fombelle ; 1900, Lille, 3 rue des Etaques ; 1901, Lille, 109 rue de l’Hôpital Saint Roch ; 1901, Roubaix, 192 rue de l’Epeule ; 1903, Wattrelos, 90 rue de l’Hôpital ; 1903, Roubaix, 56 rue des Fleurs ;  1906, Roubaix, 72 rue Cuvier ; 1907, Roubaix, 69 rue Cordeau ; 1908, Lille, 300 rue Pierre Legrand ; 1909, Wattrelos, 17 rue de Mont à Leux ; 1910, Roubaix, 18 rue Turgot. Sa dernière adresse connue est à Wattrelos, 13 carrière Grimonprez, là où meurt, en 1927, son épouse Aurélie Vion qu'il a épousé en 1901. La fille de son épouse, Jeanne Vanthournout, épouse Jean Varlet à Wattrelos en 1924, elle meurt à Douai en 1957.

Le portrait de Gustave est signé Joseph Chauleur (1878-1965), artiste peintre lillois

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