jeudi 11 juillet 2024

Jean Baptiste Barbe facteur d'instruments à Berck

mise à jour le 11/7/2017 : relevés des employés 1926 et 1931, tombe JB Barbe
mise à jour le 1/5/2017 : photos d'un saxophone envoyées par un lecteur
mise à jour le 30/01/2017 : informations du Registre de Commerce et création de la société Barbe et Fils
mise  àjour le 26/11/2021 : photos d'une clarinette Barbe à Paris, merci à Vincent P.
mise à jour le 11/7/2024 : photo du magasin Armand Barbe à Paris

Les instruments de musique signés J.B. BARBE à Berck refont régulièrement surface sur les sites d'enchères, mais jusqu'à présent on ignorait qui était derrière cette "marque", était-ce un revendeur ? un prête-nom ? L'achat récent d'un catalogue de ce fabriquant a déclenché une recherche plus conventionnelle. L'aide précieuse des archives municipales de la ville de Berck sur Mer a permis de connaître un peu mieux cette famille de facteurs d'instruments de musique à vent. Mais si on a eu quelques réponses sur leur généalogie et leurs histoires familiales, il reste encore beaucoup de questions. Les réponses seront ajoutées au fur et à mesure sur cette page.







Jean-Baptiste BARBE est né à Mandray (Vosges) le 26 mars 1873, fils de Jean-Baptiste, fermier, et Marie Claire SAINT-DIZIER, tous les deux originaires de ce département. A priori rien ne prédisposait ce cultivateur, profession qu’il déclare lors de son mariage, à devenir fabricant d’instruments de musique.
Cependant lors de sa conscription, en 1893, il se déclare musicien de profession. Il devient naturellement soldat musicien dans le 8e puis le 5e régiment d’artillerie. Il est libéré en septembre 1897 et l’année suivante il épouse, à Anould (88), Marie Mélanie JACQUEMIN, papetière, qui y est née en 1872. Ses deux enfants naissent à Saulcy sur Meurthe (88), Marcel en 1900 et Armand en 1904. Au recensement de 1901 à Saulcy, il déclare la profession d'ourdisseur chez Clétienne Frères. Sa fiche matricule mentionne un séjour à Rambervillers en 1905, dont le recensement de 1906 nous indique qu'il est chef de musique ; ainsi que son arrivée à Berck sur Mer le 19 août 1911, il y réside dans le Chalet Marie Joseph, rue de l’asile Maritime. C’est dans cet hôpital que son épouse meurt de la tuberculose, le 14 août 1914, Jean Baptiste est mobilisé depuis quelques jours dans le 11e régiment d’artillerie à pied à Grenoble. Après un séjour au 84e d’artillerie, le 24 février 1917 il est détaché, par le commandant du dépôt des métallurgistes, comme ouvrier militaire à la Maison Teste, cité Lemière, à Paris. Ensuite il est muté au 1er régiment de zouave le 1er juillet 1917, ce qui pourrait correspondre à une sanction disciplinaire, car son passage chez les zouaves n’est pas pris en compte dans ses années de campagne contre l’Allemagne. Démobilisé le 13 janvier 1919, il se retire à Berck, rue de Tours, et y épouse Eugénie BAZIN la même année. Dans cette commune il est mentionné comme luthier au recensement de 1921. Il y décède, le 27 novembre 1939, rue Rothschild.
Sa tombe existe toujours au cimetière communal, il est inhumé avec son beau-frère Julien Lefebvre (1873-1934).


à droite, le caveau Lefebvre/Barbe au cimetière de Berck




le catalogue de 1931
collection personnelle


La Manufacture Générale d’Instruments de musique a été fondée en 1900, indique ce catalogue, mais cette date ne correspond pas à la chronologie de son “fondateur” qui à cette époque était ourdisseur, puis chef de musique, dans les Vosges. Le registre du Commerce nous donne une autre date.





Aux Archives Départementales du Pas de Calais sont conservés les Registres du Commerce de Montreuil sur Mer, ville dont dépendait Berck. Sur la Déclaration aux fins d'immatriculation, on apprend que le commerce de Jean Baptiste, a été créé le 1er juillet 1912, il est immatriculé sous le n° 882, en date du 26 novembre 1920. Le RC a été créé en 1919, mais réellement appliqué à partir de 1920. Pour prouver son inscription il a fournit sa carte d'électeur, son livret de famille ainsi que sa feuille d'impôt et de patente. Il précise que c'est un commerce de vente et d'achats d'instruments de musique, situé rue de Tours à Berck. Une adjonction sur le registre même, non datée, précise : Fabrication ou vente des supports de saxophone dénommés "Saxo Jazz" et autres accessoires pour instruments de musique tels que ressorts, vis, pistons etc. avenue du Docteur Quettier.
La Déclaration aux fins de d'inscription modificative nous apprend la cessation de tout commerce à partir du 1er février 1932 et la radiation du registre du commerce, M. Barbe a fait l'objet d'un apport à la société Barbe et Fils à Berck Plage, rue des Pâtures.

J'ai pu consulter le contrat de création de la société Barbe et Fils, en date du 9 février 1932, avec effet au 1er janvier de la même année. L'article n°6 nous donne le détail de l'apport en matériel du père :
Le fonds de commerce de fabrication, ventes et réparation d'instruments de musique exploité à Berck, rue des Pâtures :
- un gros tour parallèlle [sic]
- une décolteuse [sic]
- un petit tour
- une perceuse
- un touret à polir
- une polisseuse
- une scie circulaire
- une meule double
- une petite meule d'affûtage
- 8 étaux
- 3 moteurs
- 3 petits moteurs
- une petite polisseuse
- une petite scie circulaire
- 10 m. de transmission
- 14 poulies en bois
- 100 m. de courroie
- 3 soufflets à pied
- une meule à eau
- 50 pinces genre américain
- 1 forge
- 2 établis simples
- 2 établis doubles
- 40 outils divers
- 200 limes diverses

Salle de nickelage :
- une dynamo
- un bain de nickelage
- un bain de dégraissage
- un bain de dénickelage
- 5 cuves de rinçage
- 2 chauffe-bain
- 3 tableaux de réglage

Bureau :
- un bureau plat avec tiroirs
- deux tables
- une machine Underwood n° 5
- des casiers

Marchandises :
- 10 cornets à piston
- 6 trompettes d'harmonie
- 8 bugles
- 3 altos
- 4 tambours
- 3 basses
- 2 trompettes
- 38 clairons
- 2 trompes de chasse
- 7 caisses
- des cymbales
- 96 pupitres
- accessoires et écouvillons
- accessoires de caisses
- 146 embouchures
- potences, boutures lentilles, boucles, broches, viroles
- 10 clarinettes
- 49 instruments divers
- 41 autres
- des pavillons
- des SaxosJaz [sic]
- des anches, des becs et ligatures, ressorts, diapasons, cordes, 10.750 tampons, des castagnettes, des sourdines
- 95 peaux de tambours et grosse-caisse
- des ressorts, des tubes, du laiton, des accessoires
- 32 sacs et étuis
- 5 phonos
le tout pour un total de 100.000 francs, y compris les éléments incorporels estimés à 1.000 francs.
Source : actes constitutifs de sociétés cote 6U-2/525 (année 1932)



les signatures du contrat
© Archives Départementales du Pas-de-Calais

Comme me le précise un lecteur (merci Jean-Jacques B.) ce matériel ne peut pas avoir été utilisé pour de la fabrication d'instruments, mais pour celle des supports de saxophone Saxo Jazz et des accessoires spécialisés, comme les boutons, la visserie, les ressorts et sans doute aussi des pistons, peut-être aussi pour l'embouchure Etoile du Nord

extrait du catalogue 1935
collection Jacques Cools†


Les photos, censées représenter les ateliers avant 1931, sont aussi incompatibles avec cet inventaire de 1932 qui ne décrit que 6 postes de travail, loin donc de la bonne trentaine d'ouvriers présents sur ces photos. En conclusion, il y a de forte probabilités que l'on ait pas fabriqué d'instruments à vent à Berck, sauf peut-être, d'après JJB, des clairons ou des trompettes de cavalerie comme le suggère la présence des pavillons. 
 
rue de la Goutte d'Or : Source

Le catalogue indique qu’il travaille avec ses fils. Le recensement de 1926 les mentionne tous les deux comme employés chez leur père. Marcel, l’aîné, est le directeur technique, à son décès à Berck en 1949, il est cafetier 20 rue Gabriel Péri. Armand est directeur commercial, il est mentionné comme tourneur à son mariage en 1928. En 1943 la famille se réfugie en Normandie, à La Couture-Boussey chez un ami. Après le décès d'Armand, à Paris en 1947, son épouse, Marie Joannès, confie la gérance à une personne qui conduira l'entreprise, devenue Barbe et Cie, à la faillite en 1953. Marie Joannès, décède à New York en 1996, dans le quartier de Manhattan auprès de sa fille Nicole qui a émigré au Etats-Unis à la fin des années 1960.

Les recensements de 1926 et 1931 nous ont livré quelques noms d'employés.
En 1926 un seul employé est mentionné : Paulin MAURICE, né à Rambervillers (Vosges) en 1887, déclare la profession de luthier lors de la naissance d'un enfant à Berck en 1914, peut-être est-il déjà employé chez Jean Baptiste Barbe, on ne le retrouve plus à Berck en 1931, il décède à Marquette les Lille en 1961.
En 1931 trois employés sont mentionnés : François MULLER, né à Paris, il a 25 ans, André DE BONNIERE, né à Berck, il a 20 ans, et un jeune apprenti de 14 ans, René PIERREPONT, né à Berck.





photos extraites du catalogue, qui ne semblent pas avoir été prises dans l'atelier à Berck
collection personnelle


Les collaborateurs :

Le directeur artistique est Adrien PELISSIER, ex-soliste de la musique de la Garde Républicaine et ses collaborateurs artistiques sont : 
- Gabriel DUSEIGNE, hors concours de l’école nationale de musique de Saint Omer, 1er prix du Conservatoire de Strasbourg, prix Luzan-Wolf et vice président, directeur de l’Harmonie du Touquet-Paris-Plage
- L. PERU, lauréat du Conservatoire de Paris en 1930
- Victor NYS, soliste de la musique de la Garde Républicaine, ex-professeur du Conservatoire de Roubaix
- Victor DUHAMEL, 1er prix du Conservatoire de Roubaix, soliste des Concerts classiques
- Gaston VASSOUT, 1er prix du Conservatoire, soliste des Concerts Parisiens.

Christian Declerck



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Le Club Musical Berckois,
les débuts sous la direction de J.-B. Barbe

En 1913, l'Harmonie municipale de Berck cesse son activité. En septembre 1922 est fondé le Club Musical Berckois, qui donne son premier concert le 24 septembre, le chef de musique est Jean-Baptiste Barbe. Le 29 octobre, le Journal de Berck publie un article annonçant les but et composition de la Société, dont la devise est, Acta non verba. Le président, M. Gayet, lance un appel aux habitants de Berck qui possèdent des instruments inutilisés, il leur demande de les prêter à la Société pour les élèves qui n'ont pas les moyens d'en acheter.
Le 31 décembre, le Journal de Berck publie un compte-rendu élogieux d'un concert :  Le concert offert samedi dernier par le Club Musical Berckois à ses membres bienfaiteurs, donateurs et honoraires fut plus qu'un succès, ce fut un triomphe. Au premier coup de la baguette du chef, nous entendons un allegro militaire entraînant et nuancé en un fragment de Boccace, l'opéra de F. de Suppé; qui nous donne un avant-goût de ce que nous allons entendre dans Côte d'Azur, ouverture de concours. Ce morceau, d'une interprétation assez difficile, fut magistralement enlevé avec une sureté d'attaque, une observation des nuances et un ensemble qui sont tout à l'honneur des artistes musiciens dont est composée cette phalange. Et nous retrouverons, à chaque morceau exécuté par le Club la même maîtrise d'exécution avec de jolies variantes dans le sentiment des divers auteurs.
C'est une "Soirée près du lac", fantaisie mazurka de P. Leroux, si sentimentales, si expressive et si bien interprétée par le soliste M. Woussen, sous-chef, que nous retrouverons d'autre part. C'est le "Tour du Monde", grande valse de O. Métra, le célèbre auteur, hérissée de difficultés d'ensemble et de doigté et que les artistes du Club enlèveront comme en se jouant. Une polka à coups de langue pour deux pistons, que les solistes Patin et Pauchet jouèrent à la perfection, ravit l'auditoire. Et le concert finit sur un chant patriotique "Les Poilus Victorieux", marche triomphale chantée par les nombreux élèves du Club, accompagnés des musiciens ; le morceau d'un effet grandiose, laissa le public sous la meilleure impression.
Mais je viens vite aux acteurs de la partie vocale, chanteurs et solistes. Tout d'abord, Henriot, jeune débutant sur la scène, qui nous fit bien rire dans ses chansonnettes comiques et que je réentendrai avec plaisir. Mme Maurion, qui interpréta des œuvres desn grands maître avec un rare talent ; Arthur Deseur, un autre soliste du Club, dont la voix agréable et juste nous charma "Sans Lune Jolie", "Berceuse" et "Verdun on ne passe pas". Lui aussi est un débutant sur la scène. Et nous voici avec Bercko le monologuiste qui amuse beaucoup son auditoire avec son "Voyage à Berck", "Le Duel d'une souris et d'un éléphant", et l'autres bons mots ; il est d'une verve intarissable. Puis c'est Mme Sergent, cantatrice bien agréable, belle voix au timbre argentin, et si gracieuse en scène.
Le charme n'est pas rompu que M. Woussen, sous-chef, nous tient déjà en suspens avec son "Air Varié pour saxophone alto", de Wettge, et pendant dix minutes nous émerveille par la facilité avec laquelle il se joue de toutes les difficultés de l'œuvre et par le sentiment qu'il met dans l'exécution.
Et Charlet clôture la série en nous représentant un paysan picard très nature dans une chanson en patois qu'il dit très bien. Je m'en voudrais d'oublier Mme Bleusez, la charmante et éminente artiste qui tient le piano d'accompagnement, (rôle parfois si ingrat) avec une grande maîtrise.
Des bouquets furent offerts par les petites filles de MM. Gayet, Lambrecq et Patin à Mmes Maurion, Sergent et Bleusez, et cel fut du plus gracieux effet. Après la polka pour pistons, M. Gayet, président, prononça l'allocution suivante et fut vigoureusement applaudi.




Le Club Musical Berckois en déplacement à Calais, date ?
© Archives municipales de Berck sur Mer


Le Club Musical Berckois en 1935, directeur fondateur J. B. Barbe en 1922
© Archives municipales de Berck sur Mer





D’autres infos sur les instruments J.-B. Barbe iciici et ici
Des photos d'atelier similaires ou très ressemblantes, signalées par un lecteur ici et ici

Sources : état civil, registre matricule, recensements, le témoignage de Nicole Barbe.
Mes plus vifs remerciements aux archives municipales de Berck et particulièrement à Mme Le Louarn, qui a fait une grande partie des recherches généalogiques.
William Waterhouse, dans son New Langwill Index, paru en 1993, mentionne deux autres catalogues parus en 1929 et 1934 (cité par Jacques Cools dans la première partie de son Essai de classification alphabétique des facteurs, ouvriers, inventeurs, essayeurs, marchands… français, d'instruments de musique à vent, paru en 2000, n° spécial XI de la revue Larigot)


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Un lecteur anonyme m'a envoyé cette série de photos, qu'il en soit vivement remercié.







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Une clarinette Barbe et Cie, 36 rue de la Goutte d'Or à Paris








Photos de Vincent P.

samedi 6 juillet 2024

Claquebois

mise en ligne le 23/4/2013
mise à jour le 16/12/2019, ajout d'un concert par Charles de Try à Cambrai
mise à jour le 20/5/2020, ajout des prestations d'Ernest Bonnay de Cambrai et une partition de son père
mise à jour le 6/7/2024, ajout d'infos famille Bonnay + Louise Nixaw

Un mystérieux instrument…



C’est du moins ainsi que j’ai considéré ce « xylophone » quand je l’ai trouvé en brocante en 2011 : les lames de bois me faisaient penser à un instrument exotique (Asie, Afrique ???), peut être ramené lors d’un voyage, alors que la table trapézoïdale qui le soutenait, en hêtre et orme étaient de toute évidence de fabrication nord européenne…  Et que dire des languettes de mousse expansée collées sous les lames sonores, d’allure « fin XXe siècle  ».
Bref, cet instrument me posait plus de questions qu’autre chose, surtout avec les notes de musique selon la notation française (do, ré , mi…) gravées sur chaque lame, qui ne faisaient pas très extra-européen.
Je l’ai donc exposé lors de la brocante musicale de Cappelle en Pévèle de 2012, et ai questionné un certain nombre de visiteurs, passionnés comme moi d’instruments de musique populaire, à qui ça ne disait rien non plus. L’un d’entre eux, Hervé GONIN, grand collectionneur d’instruments de musique traditionnelle du Monde me rappelait cependant dans les semaines qui suivaient pour me dire qu’il avait vu un instrument similaire au musée instrumental de Bruxelles, et qu’il y était appelé  « claquebois », ou «  bois et paille ». Je me ruais alors dans ma documentation, et me rendais alors compte de l’importance de ma découverte… Je tenais un instrument populaire répandu en Europe du Nord au XIXème siècle (Pays Bas, Tchéquie), qui avait disparu des mémoires.
Le démontage des lames et leur examen me confirmaient l’origine locale de la fabrication, puisque l’une d’entre elle portait le patronyme suivant : « JULES JOOS** », avec le même lettrage que les notes inscrites sur chaque lame de bois. Cette fois, il n’y avait plus de doute, il s’agissait bien d’un instrument en usage dans la région, le brocanteur m’ayant dit l’avoir trouvé dans un débarras de maison vers Maubeuge.
D’après César Snoeck, notaire à Gand au XIXe siècle, grand collectionneur d’instrument, et dont la partie des collections issue des anciens Pays-Bas est entrée au musée instrumental de Bruxelles : « l’instrument dans son état actuel a été en quelque sorte créé par un Polonais nommé Gusikow au moyen de perfectionnements successifs apportés à un instrument simple et populaire de son pays, le Jerova i Salamo, espèce de claquebois. Gusikow acquit sur son instrument un talent absolument prodigieux au point d’exciter l’admiration dans les principales villes de l’Europe qu’il parcourut de 1834 à 1837 en donnant des concerts. Ainsi se produisit-il à cette époque un véritable engouement pour le bois-et-paille ; tout le monde voulait en jouer et il était devenu un instrument de concert et de salon. Il est probable que les nombreux amateurs qui s’exercèrent ne réussirent pas comme Gusikow, car après 1840 le bois-et-paille est tombé dans l’oubli, et il est presque inconnu aujourd’hui » (ce texte date de 1894). C’est sans doute un instrument provenant de sa collection qui a permis l’identification de notre spécimen.
Il est clair que Gusikow n’a pas créé le bois-et-paille, ce type d’instrument étant connu de très longue date, et faisant même partie de la catégorie des instruments dits « primitifs », mais sa virtuosité l’a remis en lumière et aura créé au XIXème siècle un regain d’intérêt pour un instrument ancien dont notre exemplaire est un témoignage précieux. Parvenu jusqu’à nous en très bon état*, et avec ses deux mailloches en bois,  seuls les faisceaux de paille soutenant les lames sonores ayant  disparu en raison de leur fragilité. Ils ont pu être reconstitués et restaurés par mes soins avec l’aide des établissements Florimond DESPREZ qui m’ont fourni la paille de céréale nécessaire à cette restauration. Qu’ils en soient ici remerciés chaleureusement.

Jean Jacques Révillion †
6 avril 2013

* Il est plus que probable que les pieds qui portaient la table aient été sciés.
** Voir plus bas


cliquez pour agrandir




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Jules Delépierre
A cette découverte très intéressante je peux ajouter quelques informations concernant cet instrument dénommé parfois « claquebois » ou « bois et paille ».
Jules DELÉPIERRE, musicien et chef d'orchestre, né à Armentières en 1820, se produisait également sur ce genre d’instrument dans les années 1850 comme en témoigne cet article publié dans le Mémorial des Pyrénnées :
11 décembre 1852 : « Il y a quelques jours, dans un de nos salons où l’on se réunit fréquemment pour faire de la musique, on accueillit par de chaleureux bravos un artiste étranger, qui, sur un instrument de la facture  la plus simple, car il ne se compose que de brin de paille et de petits morceaux de bois, est parvenu, à force de persévérance et de travail, à produire de riches harmonies et à rendre, avec une puissance et une netteté admirables, les pages les plus brillantes des maîtres de l’art. Cet instrument nouveau est le Zilophone et l’artiste se nomme M. Delepierre. Qu’on se représente une série de minces planchettes de sapin, longitudinalement juxtaposées, attachées les unes aux autres par des cordes à violon et placées sur une petite table couverte de tubes de paille. L’artiste prend en main, deux batons semblables à des demi-baguettes de tambour, et, sur les touches de ce modeste clavier, vous l’entendez exécuter, avec une dextérité et une sonorité surprenantes, les variations les plus difficultueuses Thalberg, Mayseder, de Bériot. Les applaudissements bien mérités que M. Delepierre a obtenu dans cette réunion, l’ont engagé à se faire entendre en public, et nous apprenons qu’il organise une soirée musicale, qui doit avoir lieu prochainement, et dans laquelle il sera brillamment secondé, pour l’instrumentation et pour le chant, par l’élite de nos artistes et amateurs. Nous croyons que la sympathie et la curiosité ne lui feront pas défaut dans cette circonstance. »
Jules Delépierre aura plusieurs enfants qui deviendront des virtuoses violonistes, le premier, Jules Henri, né à Dunkerque en 1849, et surtout ses trois sœurs : Juliette (Douai, 1850 - San-Salvador, 1897), Julia (Bagnères de Bigorre, 1852 - Paris, 1926) et Jeanne (Cambrai, 1863 - ?). les deux premières se produisent à Londres en 1866 et en plus de leurs prestations sur le violon elles ajoutent l’instrument favori de leur père : « The Oxford theatre, Engagement of the talented Juliette and Julia Delepierre. Violinist to all the Northern Courts, aged respectively nine and thirteen years. Mlle Juliette will also perform a Fantasia on her extraordinary instrument called the Xilophone, composed of Bois et Paille [en français dans le texte]. They will appear Every Evening at Nine and Half-past Ten o'clock. » [The Anglo American Time]. Elles continueront de se produire dans toute l’Europe et en 1885 elles sont à Paris « Les demoiselles Delepierre, trois jolies petites jeunes filles, viennent de débuter aux Folies-Bergère, où elles ont obtenu un légitime succès. Rien de plus intéressant que de voir ces enfants jouer, sur des instrumenta ingrats comme le xylophone, des airs variés, hérissés de difficultés. » [Le Grelot], c’est certainement à cette époque qu’a été imprimée cette affiche conservée à la médiathèque de Chaumont.



Christian Declerck


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Jules Joos
Ce patronyme d’origine flamande étant assez rare en Hainaut, le signataire de l’instrument découvert par Jean-Jacques pourrait être celui qui était domicilié rue de l’Abattoir à Hautmont, près de Maubeuge, à la fin du XIXe siècle. Jules Joseph JOOS est né à Hautmont le 19 mars 1879, fils d’Aimé, lamineur aux Forges, et Thérèse VANACHTER. Il deviendra gendarme à cheval en Bretagne où il décède en 1961. Si son père est né aussi à Hautmont, en 1856, son grand-père, Fidèle JOOS est né en 1809 à Sinay, aujourd’hui Sinaai-Waas, petit village flamand situé entre Gand et Anvers, ce qui nous ramène au collectionneur gantois César SNOECK. Peut-on imaginer que cet instrument ou au moins le souvenir de cette pratique se soit transmis de père en fils et petit-fils tout au long de ce siècle ? et que l’instrument découvert « près de Maubeuge » soit en lien avec cette famille ?
Personnellement je crois qu’il y a de fortes chances pour que cela soit ainsi, il y a trop d’éléments qui se recoupent, outre les coïncidences généalogiques et géographiques, il y a aussi, par exemple, les notes marquées sur le bois qui ont été faites avec des lettres à frapper utilisées pour marquer le métal, dont on devait se servir dans les Forges et Fonderies de Hautmont.



Peut-être, pure hypothèse, est-ce Aimé qui a fabriqué cet instrument pour son fils et qui l’a marqué à son nom ?
Christian Declerck



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La famille BONNAY

Gallica
C'est au Théâtre également, soit aux fêtes de la Philharmonie, soit aux fêtes de l'Orphéon, qu'on pouvait entendre un instrument original, délaissé depuis, dénommé vulgairement « bois et paille », parce qu'il était composé de morceaux de bois de différentes dimensions, reliés par des cordelettes, et reposant sur des rouleaux de paille. Le tout était fixé sur une table de bois et se jouait avec des baguettes d'ébène. Le maniement en était- difficile, et peu s'y risquaient. Seuls, MM. Bonnay père et fils et M. de Try osèrent l'affronter. Notre bibliothécaire, M. Delannoy, qu'on ne prend jamais de court, a mis la main sur un numéro de la Gazette de Cambrai, du 15 avril 1865, où l'on publiait un article de la Gazette des Etrangers, que je ne puis m'empêcher de reproduire, à cause de la personnalité qui en fait l'objet : « Il vient d'arriver à Paris, un petit bonhomme bien extraordinaire qui, si je ne me trompe, va faire parler de lui et soulever des ouragans de curiosités. On en va parler avec rage et tout le monde voudra le voir et l'entendre. C'est un enfant de sept ans à peine, de la plus charmante physionomie, un petit virtuose d'une force singulière sur un instrument baroque, assez peu connu, qui s'appelle, je crois, le xylocordéon. Figurez-vous un clavier de bois de sapin, reposant sur des coussinets de paille; on frappe avec un petit marteau ces touches équilibrées, qui vibrent et donnent un son indéfinissable, mystérieux, vague, voilé, sonore cependant et d'une qualité toute spéciale : cela se rapproche du timbre de l'harmonica, ou plutôt encore de cet instrument composé de cloches de cristal, abandonné aujourd'hui et d'où l'on tire des sons par un frottement circulaire. Ce petit garçon se nomme Ernest Bonnay ; il a exécuté, hier, au concert du boulevard des Italiens, une grande fantaisie variée, avec une agilité, une justesse et un sentiment musical très remarquables. Il fait des cadences, les trilles avec une perfection rare ; cet enfant est plus qu'un virtuose, c'est un véritable artiste. Il paraissait hier pour la première fois devant le public de Paris où il est arrivé avant-hier. Il a eu un succès fou et on lui a fait bisser le strette de son morceau. » 
Dans le numéro du 9 mai, de la même année : « Le jeune Bonnay a eu l'honneur de se faire entendre à l'Elysée, devant son A. I. la princesse Mathilde et il a obtenu un magnifique succès. » 
De France, il s'en fut au Danemarck, où le suivit la faveur du public. « La Gazette d'Altona, cite encore le journal de Cambrai, dit qu'il a excité l'enthousiasme au plus haut point, au concert donné dans cette ville. Il en fut de même à Stzchec (Holstein), où son Altesse Louise, l'a mandé pour voir de plus près l'artiste en miniature et l'instrument qui secondait si bien son talent précoce. » 
C'est pour accompagner son jeune fils dans ses tournées artistiques que M. Bonnay quitta Cambrai, le 2 décembre 1865, et abandonna la direction de l'Orphéon Cambrésien en même temps que ses fonctions de professeur à l'Ecole de Musique.

Mémoires de la Société d’Emulation de Cambrai 18 décembre 1927

Emma Bonnay prend la succession de son frère après son décès : 1880, « Mlle Ernestine [sic] Bonnay, l’intéressante xilophoniste, que nous avons applaudie l’été dernier au Cirque et aux Folies Bergère, est sur le point de terminer sa brillante tournée en Amérique. Après avoir donné des concerts à Panama, Mexico, Cuba, Goyaquil, Lima, elle est arrivée à San Francisco, où elle est engagée au grand théâtre California jusqu’à la saison prochaine »

6 janvier 1884 : Mlle Bonnay, la remarquable xylophoniste qui obtenu, la semaine dernière, un si vif succès à la soirée musicale de la salle Hertz, donnée au profit de l’œuvre du patronage des apprentis, est, en ce moment libre d’engagement pour la saison qui va s’ouvrir. nous ne saurions trop recommander cette artiste de talent aux directeurs de concerts ou aux entrepreneurs de tournées en province et à l’étranger en quête d’un numéro original et tout à fair exceptionnel. Mlle Bonnay est, nous croyons, la seule femme à Paris jouant du xylophone, ce singulier et mélodique instrument composé de morceaux de bois et paille » 


Théodore Bonnay, né à Cambrai en 1819, est mort à Paris en 1904.
Ernest Bonnay, né à Cambrai en 1856,  meurt vers 1875 des suites d'un accident.
Jeanne Mathilde Emma Bonnay, née à Cambrai en 1851, est morte à Angoulême en 1931.


source : Gallica

Entre temps, Théodore fait aussi appel à une de ses élèves pour remplacer son fils : Louise NIXAW, qui parcourt également l'Europe pour des concerts remarqués entre 1876 et 1885 dont la presse se fait écho.

source : L'Echo des Jeunes (Gallica)

Je n'ai pas trouvé d'où vient ce pseudonyme NIXAW. Marie Louise PLOSSE, dite Nixaw, est née à Paris, 242 quai de Jemmapes, en 1862, fille de Julie et d'un père non dénommé. Elle est morte en 1942 et inhumé au cimetière de Tassin la Demi Lune (69).

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J'ai relevé cet article dans La Presse Orphénique du 6 mars 1870 :
Strasbourg, après un concert donné par la violoncelliste Elisa de Try, son père la rejoint sur scène. " Enfin, pour clôturer joyeusement la solennité, et à la demande générale, M. de Try a bien voulu consentir à présenter un instrument de fantaisie, d'origine germanique, et perfectionné par lui : ce sont des rouleaux de bois de sapin disposé sur d'autres rouleaux de paille et placés sur une table. M. de Try, armé de légères baguettes fort courtes, parvient à tirer de cet appareil rustique les sons les plus doux ; puis avec une prestigieuses adresse, il s'est livré aux caprices les plus fantastiques de la variation sur un thème de Mayseder. Quel est le nom français de cet instrument ? Tryphone, du nom de son propagateur, et voici l'anecdote que l'on raconte au sujet de cette dénomination : Un jour M. de Try, honoré de l'amitié de Rossini, était allé dans son salon, montrer cet assemblage de touches si primitives, en présence de quelques intimes. Et le maëstro, ravi de l'originalité de ce clavier musical, de s'écrier : Mon cher de Try, vous Try… phonez admirablement. Aussitôt un assitant de répliquer : Eh bien ! que Tryphone soit désormais le nom de l'instrument. Et il en a été ainsi. Auguste Lippmann

Charles de Try est né à Bruxelles en 1819, il épouse Emilie Blervacq à Courtrai en 1843, il sera maître de chapelle de la cathédrale de Cambrai. Il meurt à Lambersart le 8 juin 1887.


dimanche 2 juin 2024

Patrice Heuguebart, retraité et chevalier

Smitlap 1984

« Hazebrouck est ma maison. » À 60 ans, Patrice Heuguebart a choisi d’en faire un pied-à-terre. Mais le directeur des affaires culturelles et de l’événementiel de la ville ne sera jamais bien loin. D’une parce qu’il habite au pied du mont Cassel ; de deux car l’homme n’a pas renoncé à l’action sociale et culturelle, au sein d’Arche et du collectif musical Smitlap. Retour en six dates sur le parcours foisonnant du « gamin du Nouveau-Monde ». Incontournable, tant il a compté pour la ville et ses habitants.

1963 
Patrice Heugeubart naît rue Pasteur, mais c’est à deux pas qu’il grandit. Deux frères, une sœur, des parents boulangers. « La rue Notre-Dame était un village en ville. De l’église au rond-point de la Mappemonde, une maison sur deux était un commerce. » Il hérite du sens de l’engagement, inscrit dans l’ADN de la famille. Grand-père communiste, mère à la Jeunesse ouvrière chrétienne. « De nature, j’étais actif. Mon handicap visuel a fait de moi un combattant. Le petit gros avec un œil de travers ne se laissait pas faire. Il m’a fallu prendre ma place », sourit-il. Scolarisé à Saint-Jacques, « qui m’a formé à la vie de groupe », il découvre en parallèle l’accordéon avec Roland Dewaele. « Je lui dois beaucoup sur mon parcours musical. Il m’a donné tous les outils de l’autonomie. »

1978
Une année déterminante. « Je suis figurant dans un spectacle sur l’abbé Lemire. Je rencontre Jean-Pierre Allossery (élu socialiste, président du centre socio-éducatif (CSE) et créateur d’Hazebrouck ville ouverte, ndlr). » Patrice Heuguebart se rapproche du CSE « comme petite main », décidé à « bénévoler ». « Je sentais implicitement les plaques tectoniques de Saint-Jacques (il y a été surveillant, ndlr) et de l’éducation populaire s’affronter. D’un autre côté, l’animateur socioculturel n’est que la version laïque du vicaire. »
Patrice Heuguebart, il y a « quelques » années avec les musiciens de Smitlap. Le groupe vient de fêter ses 40 ans.

1984
Partagé entre des saisons en village vacances à Bourg-Saint-Maurice, une carrière artistique au côté du comédien Jean-Marc Chotteau et sa vie hazebrouckoise, Patrice Heuguebart finit par rentrer au bercail. Un poste d’animateur est disponible au CSE. « C’est pour toi, me dit Jean-Pierre Allossery. Je n’ai pas hésité, on avait un matelas idéologique commun. » Le jeune animateur prendra la direction du centre quelques années plus tard. Il n’a pas trente ans. La gauche a perdu la mairie, Maurice Sergheraert (divers droite) est aux affaires : « Parmi les grandes satisfactions que j’ai eues, je retiens la capacité des élus de droite et de gauche à entretenir une dynamique positive autour du CSE et de Ville ouverte. »

1990 – 2010
Une forme d’âge d’or. Création de Folk en mai, des Beaux Dimanches du mont Noir, de Cassel cornemuses, à titre bénévole, d’une galerie d’exposition dans les murs du CSE, place Degroote, la labellisation du centre social par la CAF. Le CSE est sur tous les fronts, son directeur en première ligne. « On était porté par un contexte favorable », relate Patrice Heuguebart. Ville ouverte voit affluer des troupes aux propos acides, qui attirent la foule. De l’agit-prop qui bousculait les codes : « Je me souviens d’une compagnie qui promenait un cercueil dans les allées de la brocante, d’une douche aux parois opaques installée devant La Voix du Nord, sur la Grand-place. » En quittant le CSE, Patrice Heuguebart a pris ses distances avec le festival « éteint par les attentats de Nice en 2015 et le Covid ». Sans porter de jugement sur la perte de vitesse de l’événement : « Le "c’était mieux avant" m’agace prodigieusement, me désole aussi. »

2009 
Patrice Heuguebart retrouve Jean-Pierre Allossery… à la mairie. Il devient directeur des affaires culturelles, invite le bagad de Lann-Bihoué, Chanson plus bifluorée ou Richard Gotainer à la fête de la Musique, contribue à la création des Bouquinales, qui s’arrêteront, à son grand regret, en 2019, mais se poursuivent sous une autre forme. Sous le mandat de Bernard Debaecker, il hérite en outre de la casquette de chef de service événementiel, qu’il conserve après l’élection de Valentin Belleval : « J’ai aimé les rencontres tous azimuts facilitées par mon métier. »

2024
L’heure du départ, dans sa soixante et unième année. « C’est mon moment, j’ai perdu trop de gens à l’aube de la retraite. » Patrice Heuguebart a transmis le témoin à Yannick Kremer, directeur de la médiathèque, avec le sentiment d’avoir respecté sa devise : « Fidélité et loyauté. »

Marc Le Tellier
VdN 22/4/2024


Patrice Heuguebart fait chevalier dans l’ordre des palmes académiques
Patrice Heuguebart a fêté son départ en retraite en mairie d’Hazebrouck. À cette occasion, il a reçu l’insigne de chevalier dans l’ordre des palmes académiques.

Jeudi soir, aux Augustins, Patrice Heuguebart a fêté son départ en retraite qui sera effectif au 1er juillet, entouré par sa famille, ses amis et ses collègues, une réception à son image, ponctuée d’intermèdes musicaux. « Un nouveau livre avec des projets, des envies et des surprises à vivre va s’ouvrir », a-t-il déclaré.
Celui qui fut au service de l’éducation populaire pendant près de quarante ans, a reçu des mains d’Hervé Dufour, inspecteur de l’éducation nationale, l’insigne de chevalier dans l’ordre des palmes académiques : « Tous les projets pédagogiques et culturels de grande qualité que vous avez portés et dont ont pu bénéficier les enfants d’Hazebrouck et de sa périphérie, fait que l’Éducation Nationale reconnaît toute la valeur que vous incarnez. »

Valérie Baranek
VdN 31/5/2024

crédit : la Voix du Nord

VdN 2023


vendredi 24 mai 2024

Mariage à chabots ?

Des sabots... pour aller plus loin !

On peut s'interroger sur cette expression de mariage à chabotsIl serait facile de n'en faire qu'une manifestation burlesque ! 


Certes, L'mariach' à chabots du poète denaisien Jules Mousseron a tout de la farce ! Publié en 1904 dans le recueil Croquis au charbon (Moeurs et coutumes du pays minier), c'est l'histoire du mariage de Tiss' avec Lilique. Un mariage au rabais, la future belle-mère, avare comme pas deux, refuse de débourser pour la noce et les habits, comme le voudrait la coutume qui voit la famille de la mariée assurer les frais de noces. Qu'à cela ne tienne, le mariage a lieu, en sabots ! Cafougnette, rendu plus que gai par le repas bien arrosé, a ôté ses sabots pour danser. A la fin de la noce, quand il se rechausse, il ne voit pas qu'ils ont été remplis de ratatoule.
Si Jules Mousseron évoque le bruit de la noce chaussée de sabots du fait de l'avarice de la mère de Lilique (queu tapache !), le poète-chansonnier tourquennois Jules Watteeuw, dit Le Broutteux, en fait, lui, le coeur de son Mariach à chabots (publié dans ses Œuvres complètes en 1923) Le père de Mélie, sabotier de son état, décidant d'honorer conjointement sa fille et sa profession, veut des neuch' à chabots. Et de jubiler en entendant les invités claquant des sabots (Tcheu brut que l'mariach' de m' fille/Va faire aveuc ses sabots) ! Un clic, clac, clic, clos qui revient en ritournelle dans le refrain.

par Jules Watteeuw

On trouve encore en pays minier, des formes folkloriques de mariage à chabots qui paraissent inspirées par les textes des poètes patoisants comme ici à Bully les Mines

source

Un montage d'archives nous fait remonter à 1952, à Avion, où défile durant la ducasse, un mariach' à chabots


extrait de la vidéo

le violoneux de bistrot


A Aulnoy lez Valenciennes, en 1932, ce sont les fiancés qui optent pour les sabots pour leur mariage, rendant hommage, selon l'article cité "à nos pittoresques coutumes villageoises" :



Dans les trois cas, nous sommes assez loin, en voyant les costumes soignés et la chorégraphie des quadrilles, de la description faite par Marius Lateur des charivaris et mariages à chabots dans la commune d'Auchel, avant 1914 !

On peut penser qu'avec le temps, le traumatisme de la guerre 14-18, la réprobation sociale des "débordements" des sociétés de jeunesse et condamnations pour troubles à l'ordre public, les mariages à sabots, forme théatralisée des charivaris, intégrèrent le terrain folklorique pour disparaître peu à peu.
Alors, pour approcher ce que constituait l'ambiance des charivaris et mariages à sabots décrits par Marius Lateur, avec casseroles et chaudrons, on peut écouter les témoignages sonores collectés par Claudie Marcel-Dubois et Maguy Pichonnet-Andral, ethnomusicologues, entre 1953 et 1963.

un charivari bressan en 1961
source

Et aussi regarder deux scènes du film Faubourg Montmartre (1931), de Raymond Bernard. Ici, ce n'est pas Frédéric (Pierre Bertin), garçon du pays qui est l'objet de l'opprobre des villageois, mais Ginette (Gaby Morlay), fuyant Paris et le faubourg Montmartre.
 

Avec, en meneur de charivari cauchemardesque,  un Antonin Artaud exalté...


 
Agnès de Coérémieu