samedi 10 octobre 2015

Traces





Trace existait avant sa création.
Celles et ceux qui décidèrent, en 1984, de fonder cette association de chercheurs, travaillaient déjà à la recherche, au collectage, à l'apprentissage des instruments de musique et d'autres choses encore. Ils avaient plus ou moins la trentaine, du boulot, ainsi qu'une passion pour la musique et tout ce qui s'y rattache. Presque tous étaient musiciens ou danseurs, et le sont toujours (à mettre au féminin bien sûr).
Les premières années furent consacrées à une sorte de débroussaillage ; l'idée de départ était de mettre à plat et en commun tout ce que nous avions trouvé à droite et à gauche, dans cette grande région très peuplée qu'est le Nord de la France - Et peut-être de trouver un fil conducteur. Or, nous ne nous attendions pas à découvrir autant de choses. Et depuis, suite à trente années d'existence présenter TRACES et ses acteurs n'est pas une mince affaire…

Une question qui se pose : d'où nous est venue cette envie de savoir ? Cela reste à creuser, mais il est certain que les recherches menées en France, un peu partout en Europe et en Belgique nous ont servi de modèles. En tout cas il y eut très vite le désir de communiquer et de mettre en commun ce qui pouvait déjà l'être, comme par exemple cette vingtaine d'enregistrements de collectage, réalisés en Flandres, en Artois, en Wallonie à partir des années 60/70. Réunis sous le titre "Musiciens et Chanteurs" sur une cassette audio (à l'époque on disait K7) les pièces proviennent donc de France et de Belgique, ce qui en soi est déjà novateur, mais illustrent aussi des musiques provenant de Pologne. Roumanie et Portugal. C'est bien cela, la région Nord/Pas-de-Calais : une terre de passages, de mélanges, de fusions. De virtuoses aussi.

La suite est une longue série de colloques, conférence, manifestations et fêtes, bourses aux instruments, et dépannages… Les recherches ne se limitent pas à la région et dépassent même les frontières. Plusieurs expositions iconographiques et photos sont élaborées, en fonction des découvertes, des demandes et parfois aussi des problèmes rencontrés, par exemple en ce qui concerne les problèmes photographiques. On parle aussi de la restauration d'instruments de musique, émissions hebdomadaires de radio, d'interventions télé, de bourses aux instruments (Cassel Cornemuses, 16 édition en 2014).
Les collecteurs, rats d'archives, collectionneurs, journalistes vont déployer leurs talents, tout comme les enseignants, danseurs, médecins, luthiers. Epaulés par les rédacteurs (chef), tourneurs de haute précision, artisans, documentalistes, formateurs, secrétaires. Sans oublier les danseurs(ses), informaticiens, chercheurs, animateurs, et ceux dont j'ai oublié le métier.
Chacun à sa façon va contribuer à la sauvegarde du patrimoine : création et circulation des exposé, archivages des documents, enquêtes photographiques, concerts et bals, dépiautages d'archives, traductions… Il y aura ainsi les enquêtes en musées, instrumentaux ou autres, qui elles aussi dépasseront les frontières. L'une d'elles à Dunkerque, à la fin des années 80, révélera l'existence de ce magnifique Hommel de 1,64 m, conservé là depuis 1840.

Citons également plusieurs collaborations à certains projets régionaux avec l'ASSECARM, l'IMTAC, l'ARM, des institutions musicales aux sigles rébarbatifs mais familiers à l'époque, la participation au bicentenaire de 1789, les collaborations aux réalisations des films Germinal et Le brasier (1989).
Les découvertes furent souvent surprenantes, voire inattendues. Ainsi ces épinettes dites vosgiennes. Certes elles le sont, mais le Nord disposait lui aussi de ses centres de fabrication : l'agglomération lilloise, les Flandres, et le Cambrésis. Le dernier inventaire (2012° fait état de 150 instruments identifiés et localisés (dont 3 aux USA !). La facture de cistres au XVIIIe siècle à Lille, Dunkerque ou encore Arras, qui s'avère l'une des plus raffinée qui soit. La rencontre de M. Lanvin, joueur de diatonique, et puis plus tard de M. Cornu. (Des vidéos seront réalisées).

Il faudrait parler des trouvailles moins spectaculaires mais tout aussi fondamentales. Il est très possible de consulter tout ce qui a pu être écrit à ce sujet à travers les nombreuses articles parus dans Tutti, Modal, et surtout dans Le Tambourineur à partir de 1981 (78 numéros) et par la suite TRAD magazine (fin 88). D'autres textes ont été publiés dans le magazine interne à l'association TRAC'mad (12 numéros de 1991 à 93), et enfin le périodique belge Carnet de notes à compter de l'an 2000 (18 numéros à ce jour). Actuellement, c'est le site dunkerquois Mémoire du folk 59/62 qu'il faut absolument consulter.

A partir de 1997, le dynamique Centre Socio-Educatif d'Hazebrouck et son festival Folk en mai y ajoute l'idée d'une exposition thématique consacrée aux musiques traditionnelles. Mais à l'inverse des précédentes expos de TRACES qui étaient purement iconographiques, il s'agit cette fois de réunir des instruments "en chair et en os" dans une présentation "qualité musée". Pari tenu. Cette première sera consacrée aux épinette du Nord. Un gros succès, qui sera accompagné de la sortie du livre du même nom (désormais une référence : 160 pages, une centaine de photos, des plans et illustrations. Un additif de 32s pages a été publié dix ans plus tard. Cette réussite sera suivie des accordéons, khans et autres harmoniflûtes (1998), violons et autres cordes frottées en 1999, une collection privée multi-ethnique en 2000 ; puis les cornemuses l'année suivante, guitares et cistres en 2002, musique flamandes pour l'année 2003, suivie un an plus tard de violons spéciaux, et de vielles à roue en 2005, etc… par leur régularité, leur éclectisme, les participations des collections privées et des musées nationaux, ces manifestations n'ont pas d'équivalent.


TRACES et la cornemuse

Ce fut le sujet de prédilection. Les anciens Pays-Bas regorgeaient de cornemuses de toutes sortes, et dès le XIIIe siècle, les œuvres d'art fourmillent d'illustrations, souvent d'une grande précision, ce qui permit en Belgique des reconstitutions très fidèles. Une autre forme de cornemuse fut pratiquée dans ce pays, mais cette fois des instruments furent retrouvés, ainsi que des témoignages et photos. Ces cornemuses étaient très proches de celles rencontrées dans le centre de la France, c'est à dire le petit bourdon situé à côté du chalumeau. En 1983 parût l'ouvrage d'Hubert Boone, une référence dans ce domaine, qui fit le point sur les recherches en Belgique. Et puis Rémy Dubois, l'inspirateur, celui qui a donné à tous l'envie d'en jouer.

Côté français, nous savions par d'anciens textes que l'instrument était encore pratiqué en XXe par les bergers, dans le Boulonnais et ailleurs. des enquêtes ont démarré en 1981 à Valhuon et environs, là où se déroulaient des mâtines de bergers. Sans résultat probants. Ce qui n'a pas empêché ceux qui voulaient souffler de souffler, la création de La Piposa (1984) en est l'illustration.
Et puis il y eut les cornemuses d'étude, la "Méthode de Boul'", la collaboration aux travaux de J.-L. Matte, des questions à propos du boitier "Lobidel" et de la cornemuse Petyt. (Cette dernière fut exposée à Hazebrouck en 2000). Citons en outre une série d'articles dans la série Piposo story.
En marge on découvre en 1983 une tradition de cornemuse polonaise dans le bassin minier ; un livre de 140 pages accompagné d'une K7 audio de 45 minutes est achevé en 1986 (mais nécessite aujourd'hui une réécriture et des additifs avant publication).
La trouvaille la plus récente s'est faites à Rebreuve Ranchicourt en 1995 : une tradition relative à Saint Druon, immortalisée par un artiste local qui observa et illustra les cornemuseux présents (voir Trad magazine n°50), une reconstitution in situ eu lieu l'année suivante avec des nombreux coups de main dont la Piposa, les moutons et les porteurs de la statue. Une copie gravée du dessin a été diffusée en 2007. Enfin ceux qui le désirent peuvent se rendre à Carvin (62), il paraît que l'église conserve dix tableaux retraçant la vie de ce Saint. Peut-être y voit-on la ¨Piposo" ?

En trois décennies, TRACES est maintenant à la fois jeune et mature. Préservation, classement, recoupement, publications n'ont jusqu'ici pas posé de gros problèmes. Par contre, en ce qui concerne les archives, les membres de l'association sont à la fois nombreux, mais aussi assez éloignés les uns des autres. Difficile dans cette circonstance d'imaginer un lieu qui soit accessible à tous. Les documents, enregistrements, instruments, etc… sont donc conservés par les membres eux-mêmes. Certains dossiers ont toutefois été déposés au siège de l'association. mais reste à savoir ce que les années à venir nous réservent. Comme nouvelles découvertes bien sûr, mais aussi comme relève.

Les membres de TRACES, plus d'une centaine de personnes je pense, se reconnaîtront dans ces quelques lignes. Ils se connaissent tous et n'ont pas besoin d'être cités. Ce serait trop long. Leurs noms et parcours sont sur [ce blog], une merveille de la technologie.

Pour TRACES, le président

Texte extrait du remarquable livret accompagnant le double CD "Cornemuse Picarde"

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Complément sur l'origine de la création de ce "Collectif de recherches sur les musique et danses traditionnelles des régions septentrionales".
TRACES est le résultat d'une prise de conscience et d'une sollicitation de membres de la fédération des Musiciens Routiniers rencontrés lors des Rencontres d'Arras en 1983. Deux réunions de réflexions ont eu lieu. La première à Arras pendant les Rencontres le 31 octobre 1983, à laquelle ont assisté André Ricros et Olivier Durif (membres des Musiciens Routiniers), puis une seconde à Boeschepe à l'estaminet De Vierpot, le 17 décembre 1983.
L'assemblée générale constitutive s'est tenue à Boeschepe le 21 janvier 1984. Sont présents à cette AG : Christophe Declercq, Patrick Delaval, Hélène Casteleyn, Camille Duhamel, Christian Evrard, Philippe Oger, Alain Delpierre, Patricia Gringoire, Jacqueline Ivain, Eric Hurtrez, Pierre Talaga, Sylvie Mohr, Monique Pirez, Gaby Delassus, Christine Pruvot, Christian Declerck, Jacques Leininger, Carine Thomas, Michel Lebreton, Bernard Boulanger, Luc Allemersch, Marc Debrock, Dominique Binault, Martial Waeghemacker, Roland Delassus, Marie Wojkiewicz, Daniel Bailleul, Jean Claude Chauveau, Marie France Chauveau. Excusés, Marie Aude Pradeau, Loïc Louchez, Patrice Gilbert, Corinne Polanski, Rémy Dubois, Nicole Fontaine, Lucette Spinoit, Félicie Verbruggen, Martin Swart, Jean Jacques Révillion, Martine Beuraert, Gérald Ryckeboer, Michèle Coupez.

Quelque jours après, le 21 décembre 1983, la sortie du film de Bernard Favre et Bertrand Tavernier La Trace.


Pour TRACES, le secrétaire perpétuel…



vendredi 2 octobre 2015

Pipasso - pipossa - pippauçat

La référence extraite du livre du chanoine Daniel Haigneré, Le patois boulonnais comparé avec les patois du Nord de la France, de l'article pipassa, est bien connue, mais jamais il n'est fait mention de la source de la dernière ligne concernant le terme pippauçat. Elle se trouve à la fin du second volume dans la liste des documents consulté par l'éditeur. Ce mot a été relevé dans le registre des comptes (du début XVIe siècle) de Philippe le josne, receveur de la seigneurie et chapellenie de Longvilliers, Recques et Marquise pour François de Créqui*.





A noter que l'éditrice, Mlle Deligny**, libraire, 37 grand-rue à Boulogne sur Mer, n'est jamais citée, elle a pourtant abondamment contribué à enrichir cette publication posthume. Son nom a même été supprimé de la réédition par Slatkine…


source : La Voix du Nord du 11/2/2014
photo : collection Daniel Tintillier


Christian Declerck


* Généalogie de la famille de Créqui ici
** Léontine Deligny est née à Boulogne sur Mer le 22 février 1842, fille de Philippe Adolphe, libraire et Marie Louise Vacossant. Elle succède à sa mère devenue veuve avant 1860 et obtient le brevet de libraire le 24 janvier 1876.