lundi 16 mars 2020

Célestine Leroy , 1884-1966

publié le 3/3/2020
mise à jour le 15/3/2020 : ajout d'un texte d'Agnès Martel


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Mlle Leroy était née à Marquillies, dans le Nord, le 19 juin 1884. Combien de fois ne nous a-t-elle pas parlé de ce village natal, qu'elle n'avait pas quitté par la pensée, ce village où son père, Louis Philippe, sa mère, Céline Toulotte — un nom qui, lui aussi, nous devint familier —  menaient une vie simple ? Combien de fois nous décrivit-elle l'existence de ceux qui exploitaient cette ferme familiale ? Ainée de quatre filles, elle eut une existence que rien ne laissait prévoir, mais qui ne la déracina jamais. Ainsi eut-elle, pour adoucir ses dernières années, la compagnie de sa sœur, Mlle Juliette Leroy, que je dois nommer avec une égale amitié, tant son souvenir est lié à celui de sa sœur. C'est elle aussi qui fournit à M. Martel, auteur avec moi-même de cette trop brève biographie, tant de détails sur une existence où l'esprit domina la matière.



Mlle Leroy avait onze ans lorsque, écolière à Marquillies, elle passa son certificat d'études primaires. Premières émotions, premier succès. Elle profita ensuite, à La Gorgue, durant un an, de la présence de sa marraine, institutrice. Elle y prit probablement sa vocation d'enseignante. De 1897 à 1899, pensionnaire à l'Ecole Supérieure de Roubaix, de 1900 à 1902, élève à l'Ecole Normale de Douai, elle confirma cette vocation et brilla, intellectuellement aussi bien que cordialement.
C'est en 1908 que commença sa carrière d'enseignante à La Bassée. Elle eut une classe de 100 élèves de tous âges (!) dont elle garda toute sa vie un souvenir épuisant. Enfin, elle se retrouva comme surveillante générale à l'Ecole Normale de Douai. Temps de travail pour le professorat où elle fut reçue en 1905. C'est alors qu'elle fut nommée à Draguignan, bien loin de son cher Marquillies, pour un an, puis à Caen où elle resta jusqu'en 1911.


1911 : c'est un tournant dans son existence, car elle allait dorénavant demeurer à Arras pendant toutes les années les plus fécondes de sa vie. Professeur à l'Ecole Normale d'Institutrices d'Arras, elle le resta jusqu'à sa retraite en 1944 et Mlle Larivière a dit, au jour des funérailles, quelle collègue elle fut pour toutes, quel rôle elle joua auprès des élèves. Brillante dans ses exposés, elle fut proposée pour le professorat à Sèvres. C'était aux années d'avant-guerre, où il fallait compter avec des oppositions qui n'avaient rien à voir avec la science, ni la pédagogie. La profondeur de ses convictions religieuses mit un obstacle à cet avancement. Heureux accident, felix culpa ! Elle nous resta ; certes sa vie ne fut pas sans surprises, car, en 1914, pendant les vacances, elle se trouva en pays envahi et rejoignit sa marraine à Wavrin, trouva le moyen d'enseigner des jeunes gens et d'enseigner dans le même temps, l'instruction et le patriotisme ardent, qui fut sans cesse le sien.
Tout cela constitue une carrière où l'enseignement, qui est affirmation, ne portait pas forcément à la recherche, qui est une inquiétude. L'esprit de Mlle Leroy ne pouvait en rester à ses seules activités professionnelles. Il se trouva qu'elle fit connaissance et créa des liens d'amitié avec M. et Mme Nourry-Saintyves. M. Saintyves était un ardent folkloriste, auteur de plusieurs ouvrages, dont certains firent du bruit. Mlle Leroy citait souvent le livre Les Saints Successeurs des Dieux, qui avait, au temps du modernisme, voulu montrer comment la légende de certains saints était une transposition de traditions mythologiques anciennes. La prudence doit être la vertu cardinale en la matière. Tout le monde n'a pas l'extraordinaire acuité de vision de Mgr Duchesne, ni la science critique des Bollandistes. Les folkloristes, armés de questionnaires, ont des déductions qui parfois font peur et oublient que l'esprit humain fonctionne finalement de même façon, sous toutes les latitudes. De la constatation d'une tradition locale au XIXe siècle, on passe aisément aux siècles des mythologies antiques et même au néolithique, sans se soucier des époques intermédiaires. Citerai-je le cas de notre
dolmen de Fresnicourt, appelé "Table des fées" ? C'est un instituteur de la fin du siècle dernier qui lui donna ce nom, pour le faire mieux vivre aux yeux de ses élèves. Ces formes mal comprises donnent des explications étranges. Emile Mâle l'a montré pour des statues incomprises, celle de la crucifiée barbue par exemple, sainte Wilgeforte dont nous parlait Mlle Leroy.
Tous ces écueils possibles ne la rebutèrent pas. Le 8 octobre 1933 avait été constitué un Conseil régional de Folklore français et de folklore colonial. Elle groupait ainsi des folkloristes au travail, MM. DemontLateur, Delplanque.

M. le Chanoine Fournier, qui présidait, avec majesté, n'était folkloriste que par sympathie et sa capacité juridique, si remarquable, lui faisait seulement porter un intérêt d'encouragement à ces études. Mlle Leroy, qui  ne voulut en être présidente qu'en 1955, et non sans résistance, demeura vice-présidente, secrétaire de fait et fut, à la fois, l'âme et le corps de ce qui devint ensuite le Comité artésien de Folklore. Elle apprécia les aides qui lui furent apportées, celle de M. Dégardin comme secrétaire, en particulier. Elle s'appliqua surtout à utiliser la science de ses anciennes élèves qui, dispersées dans l'enseignement de tout le Pas-de-Calais, pouvaient mener des enquêtes.
C'est à partir de 1930 que son activité se développa sans cesse. Le relevé de ses œuvres écrites, entrepris par M. Martel, le dépouillement de ce que les Archives départementales ont reçu récemment et qu'a mené à bien Mlle Bellart, donne une figure assez fidèle de ce travail incessant par des conférences innombrables et par des articles dont le premier en date me semble La Toussaint et le jour des Morts au pays d'Artois paru dans le tome premier des la Revue de Folklore Français en 1930, et que nous avons réédité. Puis vinrent le jour Le culte de Saint Eloi dans le Nord de la France (1934), La Fête des Rois (1935), Les Pierres à Légendes (1934) et bien d'autres dont la bibliographie donne la suite, pour aboutir au Folklore des Eaux en 1961 dont l'impression fut assuré par le concours unanime des membres du Comité de Folklore.

Le dirais-je, sans manquer à sa mémoire ? Il me fallut presque lui arracher le manuscrit. Ce genre d'étude n'est jamais achevé et la synthèse est un art difficile. Mlle Leroy recevait des lettres de partout, sur des sujet parfois futiles. Elle mettait à y répondre une conscience admirable, mais qui dévorait un temps dont nous savons que l'âge venant, il est trop mesuré pour le dispenser en vétilles.
Ainsi ne réalisa-t-elle pas la synthèse qu'un éditeur lui demanda. Le secrétariat de l'Académie, pour lequel elle déploya un zèle prodigieux, lui enleva les loisirs qu'elle réservait. Car entre temps, première femme depuis le XVIIIe siècle, elle avait été élue membre titulaire [de l'Académie d'Arras], dès 1947, et presque immédiatement secrétaire. Lourde charge où elle excella par la rédaction de procès-verbaux, par l'organisation des séances publiques. Elle était la vie même de cette compagnie et ses rapports annuels semblaient ajouter aux communications des membre données aux membres ordinaires.

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Ce classement si judicieux, que nous souhaitons imprimer avec l'un ou l'autre texte inédit, montre combien de sujets divers furent ainsi traités ou esquissés. D'une part, ils donnent comme un plan de travail, d'une autre, ils proposent des approfondissements. Ne l'oublions pas : avant Mlle Leroy il n'y avait à peu près rien. hormis quelques articles dont les meilleurs étaient dus à M. Demont, membre de l'Académie d'Arras. Elle ne créa pas le folklore, certes : les noms de Georges-Henri Rivière, de Van Gennep, auteur d'un manuel, et de celui de Saintyves entre autres le montrent. Mais ces travaux des promoteurs d'une science encore dans l'enfance montraient les difficultés de l'entreprise et ses incertitudes. Mlle Leroy relevait, avec une pointe d'indignation, avec son étude sur saint Druon, que son culte n'était pas aussi strictement localisé que l'assurait Van Gennep. Rien de plus certain et les diverses études qu'elle fit permettaient souvent de corriger, par des certitudes locales, des synthèses prématurées. C'est notre tâche d'historiens locaux. Mais la critique des sources s'impose. Ainsi, pour en revenir à saint Druon, dont elle nous parla si souvent, fût-ce à Carvin, faut-il toujours en revenir à Jacques de Guise, qui écrivit au XVe siècle, siècle des chroniqueurs, ses Chroniques du Hainault. Précieuse biographie d'un saint, né au début du XIIe siècle, qui nous indique essentiellement ce que l'on pensait au XVe siècle. La tâche du folkloriste est précisément de faire le point des traditions populaires aux diverses époques. Rien de plus malaisé, dans beaucoup de cas je le reconnais, mais rien de plus nécessaire. Ainsi, dans le cas des géants ; rien n'est encore net dans ce domaine. Il paraît bien qu'il eut des géants dans les cortèges des Pays-Bas de la Renaissance. Mais, comme beaucoup de ces traditions, elles reprirent une vie nouvelle au XIXe siècle et il est imprudent d'oublier les chaînons manquants. Je suis toujours frappé par l'aspect énorme du XIXe siècle dans le folklore. De tous ces costumes régionaux de France, combien ont plus de 150 ans d'âge ? Ainsi dans le cas de nos géants. On a tendance, chez nous, par une idée bizarre, à vouloir toujours remonter à ce que l'on appelle l'époque espagnole. Ainsi le faisait un quotidien, que nous apprécions tous, très récemment, à propos des clochers dont les flèches s'ornent de crochets, sans penser que la Somme, qui ne connut pas le gouvernement de Bruxelles, en possède autant que nous. C'est là une étude folklorique à faire que cette indéracinable conviction, que Victor Hugo diffusa, de l'origine espagnole des maisons de nos places. Qui donc eut le premier cette idée saugrenue ? Car il y eut une origine et que rien ne certifie populaire. Nous avons vu ici M. Faille nous montrer que des gravures dites populaires étaient le décalque, vulgarisé volontairement, de gravure savantes. C'est un enseignement !
Voilà ce que le travail scientifique de Mlle Leroy permet d'entrevoir. Avant elle nul ne pouvait réfléchir sur une base sérieuse. Il fallait recueillir les éléments de raisonnement, c'est ce qu'elle a fait, trente ans durant, créant ainsi de nouvelles possibilités de travail. Il me semble que nul hommage n'est plus précieux que celui même de cet inachèvement qui ouvre de si larges perspectives, là où, auparavant, comme dans les cartes du temps jadis, on aurait dû lire : terra incognita.

Il n'est pas un de nous qui ne se représente, alors que j'évoque le souvenir de Mlle Leroy, sa haute silhouette, le son même de sa voix, son sourire pour accueillir ceux qui entraient dans la salle et venaient soit lui dire leur amitié, soit lui demander quelque lumière sur un point de folklore.
Cela dans l'émotion de ses obsèques, fut le sentiment unanime. Il n'y avait pas d'indifférents, parmi ses collègues de l'enseignement, parmi les anciennes élèves, ni parmi ses amis du Comité de Folklore, de l'Académie d'Arras, ou de notre commission. Si je dois le répéter, c'est uniquement par le souci de conserver ce souvenir longtemps encore. Mais le temps ayant passé, onze mois, il a pu être réfléchi à son œuvre qui demeurera. Alors apparaît une physionomie plus précise de celle qui fût l'âme de la recherche folklorique, dans notre région.
J. Lestoquoy

Bulletin de la commission départementale des monulents historiques du Pas-de-Calais, Tome VIII - 5e livraison, 1970, p. 457


Articles parus dans la Revue de Folklore Français




Pierres à légendes du Pas-de-Calais, par Mme Camille Nourry-Quinchon et Mlle Leroy (1933)




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Une fidèle lectrice nous a envoyé ce texte complémentaire, merci Agnès



Merci Christian de mettre le projecteur sur Celestine Leroy...

Célestine Leroy, institutrice, formatrice, historienne, folkloriste... une vie bien remplie et des travaux qui font encore référence auprès des personnes intéressées par les traditions populaires et le folklore ! 
Et pourtant bien peu connue ! 

Si l'association Ravisse min coin a apposé dans sa rue natale à Marquillies (59) un panneau rappelant sa mémoire, si le Conseil Municipal de Lens donne en 1980 son nom à une rue, il faut attendre décembre 2019 pour qu'Arras, où elle enseigna de 1911 à 1944 à des générations d'élèves-institutrices, les incitant à collecter et consigner les traditions artésiennes rurales en voie de disparition, en fasse autant. 
Et on est bien en peine de trouver une école qui porte le nom de cette pédagogue dans la région...

On peut compléter ou enrichir le portrait dressé par Jean Lestoquoy, abbé qui présida de la Commission des Antiquités Départementales (1966-1980), après en avoir assuré le secrétariat de 1944 à 1966.
Ainsi, ses débuts comme enseignante à l'Ecole Normale d'Arras en 1911, interrompus par l'invasion allemande alors qu'elle est en vacances chez ses parents à Marquillies en zone occupée. Elle prend alors en charge une classe à Wavrin, où il semble qu'elle ait agit pour éviter aux jeunes garçons le travail obligatoire imposé par l'armée d'occupation, comme l'indique le site Marquillies Antan, tenu par un ancien conseiller municipal de la commune. C'est également de Wavrin, en mars 1915, qu'elle arrive à rejoindre Berck où s'est repliée l'Ecole Normale d'Arras, pour reprendre ses cours aux futures institutrices. 
Ce visage d'une Célestine Leroy patriote et pour le moins intrépide est retrouvé dans la lecture d'un article de Bruno Bethouard publié en 2006 dans Femmes et résistance en Belgique et en zone interdite. Classée par l'auteur dans les "Marie", des femmes  "professionnelles au verbe haut", l'enseignante est dépeinte comme n'hésitant pas dans ses cours durant l'occupation à prendre fait et cause pour la France libre. 

Un inventaire du fonds Célestine Leroy, conservé aux Archives Départementales du Pas de Calais sous les côtes 1J588 à 1J598 a été établi par le Comité d'Histoire du Haut Pays (62). 
Outre de nombreux documents articles, documents manuscrits ou dactylographiés préparatoires à ses publications, notes, comptes-rendus de réunions, on trouve dans ce fonds une multitude de petits feuillets rédigés par ses jeunes élèves-institutrices. 
Si Célestine Leroy gardait des liens avec d'anciennes élèves comme le signale J. Lestoquoy, ce sont des fiches rédigées par ses élèves mises intelligemment à contribution durant les vacances dans leurs villages. Leurs réponses alimentent les questionnaires des enquêtes préparatoires à l'Atlas Folklorique de la France, porté par le Musée National des Arts et des Traditions Populaires sous la direction de Georges-Henri Rivière. Des petites feuilles riches d'informations, sur les traditions du nouvel an ou des transports traditionnels par exemple...
Hélas on n'y trouve pas un riche dossier "chansons populaires"... mais c'est dans les dossiers de Célestine que se trouve le texte manuscrit et inédit de Marius Lateur Les carrettes à tchiens au Pays d'Artois. Ecrit en 1926, il est envoyé en 1951 à Célestine alors vice-présidente du Comité artésien de folklore. 
Egalement membre de la Société de Mythologie Française et rédactrice de son bulletin, Célestine Leroy y fait paraître en 1953 l'Atlas mythologique du Pas de Calais.

Agnès Martel  (Coremieu)


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