samedi 19 février 2022

La planche n°14

Dans les années 1980, Patrick Delaval a entrepris un travail musicologique d'envergure. La publication sous forme de planches iconographiques, du résultat de ses recherches sur les instruments de musique populaire à travers les siècles.

Ces planches, tirées sur vélin pur chiffon, sont dessinées d'après des gravures d'époque, documents photographiques, etc. Elles représentent une tentative de regroupement visuel de nombreux modèles d'instruments, très souvent éparpillés d'ouvrage en ouvrage, et parfois même, négligés selon les auteurs. D'autre part, ce regroupement systématique du plus grand nombre de modèles possible dans un même type permet de déterminer la fréquence de tel instruments par rapport à tel autre. En conséquence, le classement organologique s'en trouve parfois modifié, telle la cornemuse qui, par sa variété, représente à elle seule, une catégorie très importante.
Le dessin à l'encre a été choisi car il permet une clarification de documents souvent flous, ainsi que la suppression d'ombres propres ou portées qui nuisent à la bonne compréhension de l'instrument. Néanmoins, dans le cas de gravures anciennes, le graphisme d'origine a été respecté, ainsi que la disposition de l'instrument dans l'œuvre, ce qui explique que certains dessins soient présentés en biais, ou tête-bêche, par exemple.

Parmi ces planches (280 sont annoncées ! et d'autres sont en préparation) on trouve LA planche n°14 qui nous concerne plus particulièrement. Intitulée Mouchafou ou Moezelzack, zone linguistique picarde et anciens Pays-Bas, elle nous présente ses recherches sur la cornemuse locale et les liens avec celles des régions frontalières.
Certains d'entre vous ont sans doute acheté cette planche (combien l'ont conservée ?) et qui sait où il a rangé le texte d'accompagnement, riche d'informations inédites ? A la faveur d'un rangement, je viens de retrouver le mien et je vous en livre le contenu : 
"Mouchafou (muse au sac, muschosa, piposa, etc.), Moezelzak (moechasak, moezelken, muzelken, etc.). Ce double titre (Picard et Flamand) désigne une cornemuse qui se rattache au groupe des cornemuses françaises par son petit bourdon parallèle au chalumeau, mais dont les seuls exemplaires retrouvés à ce jour proviennent de Belgique. La piposo pratiquée au moins jusqu'au début du XIXe siècle en Artois appartenait-elle au même type d'instruments ? l'avenir et les recherches en cours nous le diront.
Mis à part le dessin n°1, ces cornemuses possèdent en commun deux détails organologiques très évidents, qui ne sont pas sans rappeler la chabrette limousine : un pavillon amovible au chalumeau, et une section centrale de grand bourdon très fine, faisant plutôt office de raccord entre les deux principaux segments, comme la conelha de la chabrette.
Curieusement, les exemplaires qui ont survécu semblent tous avoir été construits pour des gauchers, tout du moins l'arrangement chalumeau/petit bourdon qui est inversé par rapport à la disposition habituelle ; paradoxalement c'est cet arrangement traditionnel qui apparaît sur le document représentant Alphonse GHEUX. De nombreux types de cornemuses ont existé dans cette région, mais aucun autre modèle semble n'avoir survécu. On trouvera leur description dans le chapitre "Histoire".

  • 1) Cornemuse Picarde, musée de Bruxelles, cote M1. Il s'agit ici d'un modèle différent des suivants, en cela qu'il se rapproche des modèles classiques français, surtout dans la conception du grand bourdon, dont les trois sections de même tournage augmentent progressivement de taille vers l'extrémité. Malgré cela, cette cornemuse peut représenter un type particulier ayant existé au Nord, par certains détails comme la frange, le boitier sculpté, la manière de tournage, le pavillon amovible. A noter l'extrémité de ce pavillon en résonnateur, caractéristique rencontrée surtout dans les bourdons de cornemuses celtes.




  • 2) Cette photo d'Alphonse GHEUX (berger né à Saint Sauveur en 1850, mort en 1936 à Arc Ainières), prise vers 1882, pose le problème de la plupart des documents de cette époque : une grande imprécision dans les détails, source d'erreur accentuée par la présence de retouches. Dans le cas présent, le dessin a été réalisé après suppression de la retouche grâce à Rémi DUBOIS. Cet artifice supprimait le boitier et prolongeait le petit bourdon jusqu'à l'extrémité du chalumeau ! On remarquera que le grand bourdon possède la fine petite section centrale si caractéristique.




  • 3 et 4) Retrouvée à Escanafle, dans le Nord-Hainaut, par Rémi DUBOIS, cette cornemuse présente les caractéristiques communes aux n°2, 6 et 7, mais semble d'une facture beaucoup plus rustique, particulièrement dans la décoration du grand bourdon, très peu tourné mais sculpté à la gouge. La dernière section est ornée d'une église et de lettres et chiffres en pointillé. Un élément rare : le boitier sculpté en tête de bélier, dont on ne trouve l'équivalent à l'heure actuelle qu'en Europe Centrale. (Elle se trouve également au musée de Bruxelles)






  • 5) Ce boitier, que l'on a pu observer lors de l'exposition du Musée des A. T. P. L'instrument de musique populaire, usages et symbole figure dans cette planche car il présente certaines affinités avec les cornemuses traitées ici. Certes, les boitiers sculptés sont rares, mais la cornemuse 3-4 en est un autre exemple. D'autres part les coins à pans (ici en zig-zag), la frange, et le fait que cette frange ne provient peut-être pas de la poche, mais est sans doute rajoutée (comme sur le n°6 et peut-être le n°2) incite à penser qu'il s'agit ici d'un boitier picard ou flamand. (Paris, Musée des Arts et Traditions Populaires, n°58.57.21) [plus d'infos à propos de ce boitier ICI]



  • 6 et 7) Ces deux cornemuses, toutes deux au musée de Bruxelles, sont pratiquement identiques, et sans doute du même luthier. Elle semblent avoir été construites pour des gauchers, à moins que la position des mains fût inversée sous nos latitudes… Sur le n°6, la frange est rajoutée, et l'on note une bague de corne au grand bourdon. Le n°7 a la poche manquante. Les deux boitiers sont décorés d'étoiles gravées en creux.





  • 8) Cette reconstruction est l'œuvre de Rémi DUBOIS, luthier à Verviers, près de Liège, qui réalise de magnifiques cornemuses et que je remercie pour son son aide, ses documents et ses conseils dans l'élaboration de cette planche.




Patrick DELAVAL




Une présentation de cette planche a déjà été publiée ICI

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