Mr Desmet en 1970 avec ses deux épinettes
photo originale de Nord Eclair, collection particulière
Mai 1997 : le Centre
Socio Educatif d’Hazebrouck, sous la direction de Patrice Heuguebart organise
une exposition sur le thème de l’épinette du Nord dans le cadre de son festival
« Folk en Mai ». Patrice charge votre serviteur de l’organisation de
l’expo, et décide d’éditer à cette occasion un catalogue qui soit une synthèse
des travaux des recherches menées depuis une vingtaine d’années par
l’association « Traces », fondée en 1984. Le fameux « livre sur
l’épinette du Nord » dont on parlait depuis un moment allait enfin voir le
jour.
Patrice confie à Patrick
DELAVAL la coordination de ce travail collectif dans lequel on retrouve la
somme de tout ce que nous avions découvert à l’époque sur l’épinette dans le
Nord Pas-de- Calais : documents, photos, instruments anciens, musiciens
retrouvés encore en activité, articles de journaux parus dans la presse
régionale sur le sujet, etc. On y retrouve en bonne place le considérable
travail iconographique mené par Patrick Delaval, avec ses planches dessinées reproduisant
les instruments et leurs principales caractéristiques.
Ce catalogue est devenu une véritable bible, un ouvrage de référence sur cet
instrument, l’épinette du Nord, témoignage d’une pratique musicale populaire vivante
du début du XXe siècle jusqu’aux années 70, et dont le souvenir aurait bien
failli disparaître des mémoires sans le travail de recherche de quelques
passionnés des musiques traditionnelles du Nord de la France. On peut le dire,
avant nos recherches et nos découvertes, l’épinette du Nord n’existait pas (ou
plus…)
Le 30 Avril 1997 a lieu de
vernissage de l’expo au CSE où l’on peut admirer les instruments rassemblés par
quelques collectionneurs passionnés. On y trouve également, prêté par le musée
des Beaux arts de Dunkerque, le plus ancien instrument retrouvé grâce à la
perspicacité de Christian Declerck (le grand Hommel du musée de Dunkerque date
probablement du XVIIIe siècle.)
Et grâce à l’énergie déployée
par Patrice Heuguebart, le livre de l’épinette du Nord est livré à temps pour
l’expo. Bref, un vrai bonheur pour les passionnés que nous sommes !
Mai 2015 : je reçois un
mail de Jean-Luc Matte qui me signale une annonce sur le site Le Boncoin pour
une épinette localisée à Tourcoing. Ca tombe bien, étant en vacances et absent
du Nord, elle avait échappé à ma vigilance. A la vue de la photo publiée avec
l’annonce ( une belle double caisse d’un modèle inconnu), je me précipite sur
mon iphone pour contacter le vendeur et lui signifier mon intérêt. Jean Luc me
renvoie un mail en disant que l’annonce est reparue une seconde fois, et
s’étonne que je n’aie pas fait affaire. Je recontacte le vendeur et me rend
compte que suite à une mauvaise manœuvre, il n’a pas reçu mes deux premiers
mails ! Plutôt ballot.
Cette fois c’est bon, il ou plutôt elle me recontacte : il s’agit d’une épinette qu’elle tient de
famille, mais ne sait pas m’en dire grand chose. Je prends rendez-vous dès mon
retour et elle me demande de bien vouloir la renseigner sur cet instrument
qu’elle méconnait. Lors de notre rencontre, à Tourcoing, Mme L. , avec sa sœur
également présente, m’explique que l’instrument appartenait à son grand père,
Ernest Desmet, ou à son arrière grand-père, Florent De Smet (le patronyme
s’écrivait en deux mots à l’origine), qui habitait Roncq. Je demande si elles
ont des photos de leurs aïeux, avec ou sans épinette, les deux sœurs me
promettent de chercher. L’instrument est une belle double caisse, différente des
Coupleux dont elle ne constitue pas une copie (proportions, forme de la tête,
etc.) elle possède 8 cordes, (4 chanterelles , 4 bourdons), le fameux demi-ton
supplémentaire à la septième case, une belle fabrication. Je fais
affaire, mais un détail me chiffone : l’instrument est en contreplaqué,
ce qui ne colle pas avec l’âge supposé ; l'aînée des deux sœurs étant née en 1954, et la plus jeune en 1966, si on compte 2 générations (ou 3 …) au dessus, on arrive au début
du XXe siècle. Or la généralisation du contreplaqué (inventé fin XIXe) se
situe plutôt entre les deux guerres.
l'épinette faite par M. Desmet en 1968
collection et photos J.-J. Révillion
Je commence à leur raconter
ce que je sais sur l’épinette, en feuilletant le livre de l’épinette du Nord, montrant
différents modèles, et je tombe sur la page 103, qui reproduit un article du
journal Nord Eclair daté du 2 octobre 1970, avec la photo d’un Mr de Roncq
jouant de son épinette .
« Tenez , dis-je , regardez,
l’instrument qu’il joue ressemble à celui que vous me proposez ». Réaction
immédiate et étonnée des deux sœurs : « Mais c’est notre grand père, sur la photo ! »
A la lecture de l’article de
Nord Eclair, tout s’explique, Ernest DESMET a acheté, lors de son évacuation en
1916 à Mère les Alost en Belgique, pour 1,25 centime une épinette dont
il a joué toute sa vie.
la première épinette de M. Desmet
collection particulière, photo X
En 1968, lors de son départ en retraite, il s’est
construit un deuxième instrument, dont la description dans l’article correspond
tout à fait à l’instrument dont j’ai fait l’acquisition. D’où l’emploi du
contre-plaqué, qui correspond avec la période de construction tardive de
l’instrument. Les deux sœurs avaient entendu parler de cet article sur leur grand-père, dont il était très fier.
Je suis rentré chez moi tout
ému de ma découverte, et tout content d’avoir retrouvé un instrument dont nous
n’avions qu’une photo et une description dans un article de presse paru il y a 45
ans !
Et avec plein de questions en
tête : qu’était devenue l’épinette achetée en 1916, de quel modèle
s’agissait il ? Quelle était la pratique musicale de Ernest DESMET, dans
quel cadre l’exerçait il ? Quel était son métier, l’unique instrument de
sa fabrication témoignant d’une indéniable maîtrise du travail du bois ?
Quand était-il né, et décédé ?
Les deux sœurs m’avaient
demandé de leur transmettre une copie de l’article concernant leur grand-père,
ce que je m’empressais de faire, et elles ont eu la gentillesse d’enquêter dans
la famille sur les questions que je leur posais. Elles m’ont depuis transmis
des réponses qui permettent de compléter le puzzle :
- Ernest DESMET est né à Roncq en
1902*, et décédé en 1994. Il avait donc 14 ans quand il a fait l’acquisition de
sa première épinette en 1916.
- Sa première épinette existe
toujours, elle est conservée dans la famille, en Bourgogne. Elles m’en ont même
fourni une photo. C’est une simple caisse, mais d’un modèle inconnu de moi. En
tous cas, il ne s’en est pas servi comme modèle pour construire celle de 1968,
qui évoque plutôt les Coupleux double caisse.
- Il était sabotier à
l’origine, mais a dû faire d’autres métiers suite à la crise des années 30. Il
est vrai que le sabot de bois a été abandonné dans le nord de la France plus
rapidement que dans d’autres régions, au profit de la galoche à semelle de bois
et dessus en cuir. Mais cela explique la dextérité de Mr Desmet dans le travail
du bois (la tête notamment, en prunier sculpté, est particulièrement esthétique).
M. Desmet, musicien à l'Harmonie de Roncq
- Ernest DESMET, qui jouait
également du cor à l’harmonie réservait l’usage de son épinette aux réunions de
famille. Les deux sœurs n’ont pas souvenir de son répertoire, mais on en a
quelques indications dans l’article de Nord Eclair : du répertoire à la mode
de son temps : Frou-Frou, les Ponts
de Paris, Etoile des neiges, etc.
Les deux sœurs ont tenu promesse et m'ont envoyé des photos d'Ernest. Sur l'une il est en tenue de musicien d'harmonie. Et puis elles ont retrouvé l'original de la photo de Nord Eclair, avec un plan plus large, non coupé. Et là, surprise, on y découvre au premier plan la première épinette d'Ernest, celle qu'il a acheté à l'âge de 14 ans lors de son évacuation en Belgique en 1916
Les deux sœurs ont tenu promesse et m'ont envoyé des photos d'Ernest. Sur l'une il est en tenue de musicien d'harmonie. Et puis elles ont retrouvé l'original de la photo de Nord Eclair, avec un plan plus large, non coupé. Et là, surprise, on y découvre au premier plan la première épinette d'Ernest, celle qu'il a acheté à l'âge de 14 ans lors de son évacuation en Belgique en 1916
Bref, une rencontre et une
découverte qui donnent envie de continuer le travail de recherche ; il y a
encore de la matière et de belles surprises nous attendent encore.
Jean Jacques REVILLION
Mai 2015
----
* Son père, Florent Joseph Desmet, peigneur de lin, est né à Audenarde/Oudenaarde en 1876, son épouse, Clémence Deblauwe, est née à Halluin en 1879, ils se marient à Roncq en 1900. Le père de Clémence, Frédéric, est né à Bekegem, près d'Ostende, en 1849, sa mère, Marie Vancoppernolle, cabaretière, est née à d'Halluin. C. D.
----
* Son père, Florent Joseph Desmet, peigneur de lin, est né à Audenarde/Oudenaarde en 1876, son épouse, Clémence Deblauwe, est née à Halluin en 1879, ils se marient à Roncq en 1900. Le père de Clémence, Frédéric, est né à Bekegem, près d'Ostende, en 1849, sa mère, Marie Vancoppernolle, cabaretière, est née à d'Halluin. C. D.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire