samedi 28 octobre 2017

La Maison GRAS à Lille






En mai 2004, j'ai eu le plaisir de recevoir Mme Dominique Barbry-Gras, fille d'Emile, petite-fille de Charles et donc arrière-petite-fille de Joseph Gras, le fondateur de la société. Elle était de passage dans la région, celle de sa famille, et était curieuse de voir ma collection de partitions concernant ses ancêtres et surtout celles du P'tit Quinquin de Desrousseaux. J'ai découvert son décès, en 2015, au début de cette année. Lors de sa visite, elle m'avait donné le résultat des recherches généalogiques et historiques sur cette famille de musiciens et facteurs d'instruments de Lille. Depuis j'ai pu compléter ce document et je crois qu'elle aurait été d'accord pour que je partage le tout, elle qui était si fière de ses ancêtres lillois.
Voici donc de larges extraits du texte rédigé par Mme Barbry et sa famille, complété par mes recherches.


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Joseph, Charles, Emile et les autres
121 ans au service de la musique

A partir du milieu du XIXe siècle, trois générations successives de la famille Gras ont consacré leur vie professionnelle à la musique au travers d'une entreprise familiale qui a développé son activité dans deux domaines, la fabrication d'instruments à vent et l'édition musicale.
Crée à Lille en 1868, cette société s'est appelée J. Gras, puis Gras Frère. Elle a arrêté officiellement son activité en 1989. Son histoire va être être ici brossée à grands traits. En 121 ans d'existence, l'entreprise n'a connu que trois patrons, tous issus de la famille. Joseph, le créateur, a en effet, eu pour successeurs : Charles son fils aîné, puis Emile, un de ses petits-fils.
Chacun eut à affronter des circonstances bien différentes. Il existe néanmoins entre eux quelques points communs : 
- d'abord leur prise de fonction a toujours été suivie à court terme d'une guerre franco-allemande
- ensuite, ils ont tous exercé leurs responsabilités pendant une période qui paraît aujourd'hui extraordinairement longue (une quarantaine d'années pour Joseph, une trentaine d'années pour Charles et une cinquantaine d'années pour Emile).


Joseph, l'initiateur

Des origines modestes
Joseph naît à Cambrai le 22 août 1840. Il est le fils de Louis Gras, âgé de 42 ans, et de Julie Doby, âgée de 40 ans. Louis, le père de Joseph, est né en 1798. Enfant trouvé, il est recueilli à l'hôpital général de Cambrai, puis placé dans une famille des environs. L'histoire veut qu'il ait été trouvé "un mardi Gras", d'où le nom qui lui fut attribué.


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J'ai retrouvé l'acte qui confirme cette "histoire", mis à part que Louis se prénomme Ovide. L'acte est transcrit le 8 ventose de l'an 6 (n°306). En 1798 le Mardi Gras tombe le 1er ventose, Ovide est déposé la veille, le 30 pluviose.
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[…] le procès verbal dont la teneur s'en suit, l'an six de la République française une et indivisible, le trente pluviose vers les sept heures du soir, d'après l'avis qui nous a été donné par le directeur de la Maison et Hospice civil de la Fraternité que l'on venait d'y déposer un enfant à la porte. Nous Jacques François Joseph Wauquiere juge de paix et officier de la police judiciaire du canton du Nord de Cambrai Nous sommes transporté sur les lieux ou étant il nous a été représenté un enfant mâle nouvellement né, lequel avons trouvé dans un panier d'ozier à jour avec de la paille dedans, ayant le dit enfant sur la tête un bonnet d'Indienne fond violet garni d'un mauvais béguin a Jantelle et sur le corps une chemise un mauvais lingeron de casinette grise un autre de la même étoffe ; un chain de laine blanche et un mauvais juppon de molton rayé blanc rouge et vert sans aucune autre marque distinctive. et n'ayant pu découvrir les auteurs de l'exposition de cet enfant, malgré nos recherches et informations sommaires pour y parvenir, nous lui avons donné le nom d'Ovide GRAS de tout quoi nous avons fait et tenu sur les lieux le présent procès verbal que le citoyen Desmolin directeur a signé avec nous pour servir et valoir […]
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La profession de Louis semble avoir évolué avec le temps : boulanger selon l'acte de son mariage avec Julie (1/12/1819), journalier selon l'acte de naissance de Joseph (22/8/1840), pâtissier selon l'acte de son décès (23/2/1856). Julie, la mère de Joseph, était également d'origine modeste. L'acte de naissance de Joseph fait état pour elle aussi de la profession de journalière. Au décès de son père Joseph n'a que 15 ans. Cinq ans plus tard arrive le moment du service militaire. A cette époque, le départ se décide par tirage au sort. […] Joseph tire un mauvais numéro. N'ayant pas d'argent [pour payer un remplaçant], il effectue ses sept ans de service militaire. Il est incorporé au 1er régiment du Génie de Montpellier le 19 mars 1861. Il devient clarinettiste à la musique du régiment. Lorsque celui-ci est muté à Arras, le transfert est intégralement fait à pieds. Joseph achève son service un 1er décembre.



le magasin de la rue de Béthune, vers 1890
collection particulière


Création de la société J. Gras
De retour à la vie civile, Joseph ouvre à Lille un magasin d'article de musique et se constitue sa clientèle en allant visiter en voiture hippomobile les nombreux chefs de musique des environs. Le magasin, situé sur l'actuel boulevard Victor Hugo, au sud de la ville, est rapidement transféré dans un quartier plus central au 32 rue des Ponts de Comines [entre 1874 et 1895, une autre adresse est connue, 34 rue des Béthune, voir ici] . Situé en coin de rue, le nouveau magasin donne donc également sur l'actuelle rue Faidherbe […] à proximité de la gare dont les travaux d'extension et de rénovation furent achevés en 1867. […]. La société J. Gras est fondée en 1868. […]

Premiers fruits de la réussite
Puis c'est l'extension du bâtiment où se trouve le magasin avec la construction d'étages. Selon la tradition orale, Joseph aurait commencé les travaux par le cinquième et dernier étage afin de n'avoir pas à fermer le magasin… c'était la grosse curiosité du quartier !
Au début du XXe siècle, la société commence à être primée lors de concours de fabricants d'instruments de musique. Tant que Joseph dirige l'entreprise, la société ne participe qu'à des concours locaux : Lille (1902), Tourcoing (1906). […] Joseph décède le 26 décembre 1909 d'une crise d'urémie.


Charles, l'entrepreneur

Charles Eugène Gras naît à Lille le 14 octobre 1875. En 1895, le 8 octobre, il commence trois ans de service militaire au 43e régiment d'infanterie de Lille. Il y devient soldat musicien le 11 février1897. Il est toujours sous les drapeaux lorsque sa mère décède le 1er avril 1898. Charles achève son service six mois plus tard, le 18 septembre 1898. […] Immédiatement, Charles et Joseph commencent à travailler ensemble. Charles se montre très entreprenant. "Il va nous mettre sur la paille" se lamente parfois Joseph. Le 27 mai 1901, à Lille, Charles se marie avec Mlle Marie Belval, ils auront trois enfants.


collection personnelle


Premières initiatives
[…] Après la mort de Desrousseaux [en 1892], Charles, avec beaucoup de clairvoyance, rachètera l'intégralité des droits d'auteur aux descendants. C'est peut-être là le début de la réelle activité d'édition.
La fabrication, elle, démarrera réellement au début de la guerre 14-18 avec les premiers clairons J. Gras dans l'éphémère atelier de Colombes trouvé par Charles après son départ de Lille avec tous les hommes adultes. Charles, à la suite de Joseph, développe la participation de la société aux concours de fabricants d'instruments de musique. Récompenses d'abord sur le plan local : Roubaix (1911), Tourcoing (1912), Gand (1913). Puis au niveau international : Lille (1920), Gand (1923), Genève (1927), Francfort (1927) et Bruxelles (1935). […]



extrait d'une lettre à en-tête, 1913
collection personnelle


Première guerre mondiale
Lorsque la guerre éclate en août 1914, les troupes allemandes envahissent la Belgique et se rapprochent rapidement du Nord de la France. Le 2 septembre, le préfet du Nord, Trépont, donne l'ordre d'évacuation de tous les mobilisables. Charles, alors âgé de 39 ans, laisse le magasin à la garde de Marie, son épouse et quitte Lille pour Paris. Du 9 au 12 octobre, un intense bombardement allemand détruit à Lille 880 immeubles et en endommage 1.500. Le quartier le plus éprouvé est celui de la rue Faidherbe, la rue des Ponts de Comines et la place de la Gare. Partie s'abriter avec ses enfants chez un ami, rue des Stations, Marie doit s'arrêter dans une maison close le temps du bombardement puis passe deux à trois jours rue des Stations pour revenir rue des Ponts de Comines où l'incendie s'est arrêté quelques maisons avant l'immeuble. Les Allemands entrent dans la ville le 13 octobre 1914. Deux ans plus tard, Marie profite d'une évacuation ferroviaire, organisée par la Coix-Rouge pour rejoindre Charles à Paris avec les enfants. […]. Via la Suisse, c'est la halte à Schaffhouse au bord du Rhin, avant d'arriver enfin à Paris. parents et enfants s'installeront dans un appartement à proximité de la Bastille (au 7 de la rue Daval, actuelle rue du Pasteur Wagner), dans le 11e arrondissement.


extrait d'une lettre à en-tête, 1931
collection personnelle


Multiples activités d'après-guerre
[…] Après la guerre, Charles reprend à Paris les ateliers Alphonse Vion, situés aux 4 et 6 de la rue de Château-Landon (10e). Ils sont spécialisés dans la fabrication de jeux de pistons. Il devient le fournisseur d'entreprises tant françaises qu'étrangères. Charles engage, comme directeur, un petit-fils d'Adolphe Sax et commence la fabrication de toute la gamme des instruments en cuivre, y compris : basse à 5 pistons, tubas à 6 pistons, trombones à 6 pistons indépendants et contrebasses. Le magasin de Lille est notablement agrandi. A son apogée, il traverse tout un pâté de maisons, sur une longueur d'environ 70 mètres, entre le 32 de la rue des Ponts de Comines jusqu'au 17 du parvis Parvis Saint Maurice.
Au magasin, Un client se plaint de ne pas arriver à sortir une certaine note sur son saxo. Charles, 1er prix de saxophone alto du Conservatoire de Lille [1898], prend le saxo, sort la note et rend l'instrument au client en lui disant "maintenant, vous pouvez jouer, elle est dedans".
Au début des années 20, un atelier est ouvert à Lille, rue des Augustins, à proximité du magasin de la rue des Ponts de Comines mais de l'autre côté du Parvis Saint-Maurice. Des agrandissements successifs conduiront à occuper plusieurs numéros de la rue. Ensuite Emile investira les locaux de la façon suivante :
- au rez-de-chaussée, l'atelier (abraseur, polisseur, repasseur, tuyaux d'argents)
- au 1er étage, le stock, les réserves et le bureau d'Emile
- au 2ème étage, le logement du veilleur, Eugène Jouvenot, ancien chef de musique militaire [né à Comines en 1877]
Le 9 avril 1929, Emile se marie. Charles fait de ce mariage un évènement médiatique. Monsieur Levant, professeur de mathématiques à l'ICAM (Institut Catholique des Arts et Métiers), déclare ce jour-là "La maison Gras n'a pas de clients, elle n'a que des amis". Maurice Veraeghe, cousin d'Emile, devient directeur du magasin. Sa femme Isabelle, née Mériaux, se hisse avec agilité en haut du tabouret de la caisse du magasin malgré son embonpoint et sa petite taille.

1936
La société J. Gras n'échappe pas au tourbillon social qui emporte la France entière à la suite de la victoire du Front Populaire aux élections législatives d'avril-mai 1936. La grève est décidée, les locaux sont occupés et un drapeau rouge flotte à une fenêtre du premier étage de l'atelier de la rue des Augustins. […] Charles décède le 9 mai 1940.


Emile, l'artisan

Emile Marie Joseph Gras naît à Lille le 13 septembre 1907. Il a sept ans lorsque les Allemands bombardent Lille […]. Ayant rejoint leur père à Paris, Emile et son frère aîné Charles passent quelques mois à l'école des Francs-Bourgeois, rue Saint Antoine, puis rejoignent le lycée Charlemagne en 1917. Emile y entre en classe de 7ème, pour apprendre le latin. Il y reste jusqu'à sa 4ème en 1920-1921, puis retourne à Lille. Vers les 16 ans, Emille, prix de solfège du Conservatoire de Lille quitte la classe de flûte de M. Bouillard pour devenir auditeur au Conservatoire de Paris de celle de Moyse "l'ange de la flûte". Emile se souvient des départs de la gare de Lille à 7 heures pour arriver à Paris à 10 heures et filer en haut du Sacré Cœur pour un cours privé de flûte. C'est aussi à cette époque qu'Emile demande à son père de faire un stage à l'atelier de la rue des Augustins. Ce stage durera un an environ avec passages successifs aux principaux postes de travail sous la surveillance d'Eugène Jouvenot, qui avait travaillé avant la maison Gras, dans une maison anglaise. "Il m'a enseigné beaucoup de choses" reconnait Emile à 93 ans, encore tout émerveillé d'avoir réalisé pavillon, corps, coulisses d'un trombone à partir d'une plaque de laiton.
A 18 ans, Emile devance l'appel "Pour servir la France". Affecté au 182ème régiment d'artillerie lourde, il apprend à tirer au canon. Comme le peloton des sous-officiers est dur, son père, grace à des relations dans les milieux politiques de Lille, obtient le transfert d'Emile à la 6ème compagnie de secrétaires d'Etat Major. A paris, à l'Ecole militaire, il occupe le poste de secrétaire de l'adjoint du cabinet civil du président du Conseil Paul Painlevé.

Création de la SARL Gras Frères
Après le tourbillon social de 1936, Charles avait décidé de passer le relais. Ses trois enfants Charles, Marie-Blanche et Emile travaillent alors en associés. Charles gère un rayon de disques, Marie-Blanche s'occupe de la comptabilité [et compose des musiques pour les éditions Gras] et Emile est responsable de la fabrication d'instruments. Sur le plan juridique, la société J. Gras devient la société Gras Frères, SARL constituée pour 99 ans pour la période du 1er janvier 1938 au 31 décembre 2036.
Au seuil de la guerre, plusieurs séries d'instruments sont proposées au public :
- la série AL, garantie 10 ans contre tous défauts de fabrication, porte la marque "J. Gras, Lille"
- les séries GBS et Prima, garanties 12 ans contre tous défauts de fabrication, portent la marque "J. Gras, Paris"

Mise en sommeil entre 1940 et 1944
En mai 1940, c'est la débâcle. Emile a 4 enfants ; il n'est donc pas mobilisé et décide d'éloigner sa famille de Lille. Les souvenirs de 14-18 refont surface. C'est la période du décès de Charles. La famille se retrouve à Bordeaux puis à La Flêche après un passage par Limoges. Les ateliers et les magasins sont mis en semi-repos. […] A Lille, l'atelier est confié à la garde d'un dévoué contremaître Maurice Delbaere aidé de 2 à 3 ouvriers. A Paris, Emile inaugure un nouvel atelier rue Ramponneau et transfère le magasin au 1er étage d'un immeuble de bureaux rue de la Rochefoucault, au loyer beaucoup plus abordable que celui de la rue de la Chaussée d'Antin datant de Charles. Il débute un travail complémentaire : directeur commercial d'un laboratoire brésilien de pharmacologie, situé 121 avenue de Villiers, travaillant dans l'opothérapie. […].

La Libération
"Ce fut grandiose", dit encore Emile à 93 ans "Toutes les cloches ont sonné, tout le monde est sorti. Aussitôt j'ai téléphoné à l'artisan de Belleville avec qui je travaillai., J'apporte le champagne et je suis parti avec, à ma droite le délégué communiste et à ma gauche le plus jeune ouvrier. Le boulevard Saint Germain était noir de monde. Il n'était plus question de riche, de pauvre, c'était grandiose l'armistice à Paris !"

Actions d'après guerre
En 1945, débute la fabrication de pavillons pour les avertisseurs d'auto, c'est la marque Sanor qui équipait les michelines. Elle persistera jusqu'à la fin. C'est cette même année que le bureau de la rue Rochefoucauld, se transforme en "bureau et petit magasin" situés en rez-de-chaussée un peu plus loin, au n° 15 de la rue de la Tour-des-Dames. Jusqu'en 1958, Emile est au bureau tandis que le magasin est tenu par Mme Pibron et M. Dupont. Et voilà qu'Emile travaillant avec Jouan et deux artisans voisins dans l'immeuble du 18 de la rue de Belleville apprend que le local de la rue Ramponeau est mis en location. Le propriétaire du local étant en délicatesse avec le fisc, son voisin avait fait un achat fictif pour l'aider. Au printemps, huissier et inspecteur des impôts passent pour contrôle et saisie : il n'y a plus rien, plus une machine, tout étant passé chez le voisin, grâce à la communication entre les deux immeubles des 18 rue de Belleville et 23 rue de Ramponeau. Ces derniers laissent donc un avis de carence […]. A cet endroit, il y a eu selon les périodes de 6 à 10 ouvriers. La spécialité de cet atelier : le saxophone.
Une série spéciale d'instruments Libérator est réalisée en l'honneur de la Libération. C'est l'ouverture aux marchés étrangers, notamment avec la Norvège. L'A/S Tema à Bergen, après avoir essuyé un refus de coopération avec la maison Selmer, travaille sous licence Gras, montant les instruments à moindre coût grâce au faible prix de l'électricité dans un pays où de nombreuses chutes d'eau ont été aménagées pour produire de l'énergie.


collection personnelle


L'activité d'édition est relancée par l'arrivée au catalogue de Rhin et Danube. Il s'agit du chant de marche de la 1ère armée française qui, placée sous le commandement du général de Lattre de Tassigny, franchit le Rhin près de Karlsruhe le 31 mars 1945 et atteint le Danube trois semaines plus tard. Les auteurs de Rhin et Danube sont François-Julien Brun pour la musique et Jean Richepin pour les textes. La première rencontre d'Emile avec François-Julien Brun mérite d'être racontée. Lorsque Emile se présente au rendez-vous, Brun est avec Yehudi Menuhin, futur grand virtuose. Ce dernier est en train d'apprendre la méthode de Brun pour appeler les applaudissements en fin de concert. Grace à Brun, Emile entre en contact avec de Lattre de Tassigny pour l'édition de Rhin et Danube. De Lattre veut tout voir et écouter lui-même. Dans l'édition de 1947, la couverture de la partition est illustrée par une seule photo, un portrait de de Lattre lors de son entrée à Colmar. Cela provoque une réaction de mécontentement de l'intéressé : "Mais, je n'était pas seul !". Par la suite, il racontera à Emile les deux histoires suivantes : "En arrivant en Indochine, à sa descente d'avion, il est accueilli au son de la "Marche militaire" de Schubert… le chef de musique ignorant qu'elle avait été jouée par les Allemands entrant dans Paris en 1940. Le chef de musique a fait ses bagages…" et, celle-ci, toujours en Indochine, terrain extérieur, donc solde triplée, "j'ai trouvé qu'il y avait beaucoup trop de colonels… j'ai fait le ménage"

Moisson de prix à La Haye
Avec le concours d'une équipe d'essayeurs, tous musiciens de la Garde Républicaine, MM. Ceugnart, Fiton, Dufour, Bouteuil, Pichaureau, Liagre et de M. Max Marcelle, trompette solo de la Musique des Guides de Bruxelles et professeur au Conservatoire Royal de musique de Mons, une nouvelle gamme de modèles est mise au point. Cela permet à Gras Frères de remporter à La Haye, en 1951, au Concours International des Fabricants d'Instruments à vent, une véritable moisson de récompenses, tant au classement général qu'au classement par classe d'instruments après audition, pour chaque instrument de 3 artistes jouant devant un jury composé de chefs de musique militaire anglais, néerlandais, belge et français. Emile craignant un échec n'est pas présent. C'est Marie-Blanche qui représente la maison Gras et qui reçoit : trois 1er prix (trompette si bémol, trombone à coulisses, baryton si bémol), deux 2e prix, et la plus haute récompense, la médaille de la reine Juliana. et ce devant l'ensemble des fabricants français et étrangers. Citons parmi les français : Couesnon, Besson, Selmer et de nombreux artisans. La maison Besson a fait alors cette remarque "c'est une petite maison, mais ils travaillent très bien". C'est la maison Goosens qui a réalisé l'encart publicitaire : "Depuis 75 ans au service de la musique, Maintenant, au sommet de la qualité".

Marchés
A ce jour, nous n'avons pas retrouvé de statistiques, mais nous savons que la Société a assuré la livraison de nombreux marchés pour les armées françaises, livraison de trompettes d'harmonie par centaines après la guerre, car les allemands avaient raflé tous les instruments. Initialement J. Gras fut l'unique fournisseur. La musique de la Garde Républicaine et les grands orchestres de Paris et de l'étranger, en basse 5 pistons, tubas à 6 piston et contrebasse. Livraison de clairons en Indochine. Marché avec la France d'Outremer, notamment le Sénégal et la SNCF, les cornets de voitures.

Arrêt de la fabrication d'instruments
En 1955, des conditions difficiles sur les marchés d'exportation et des raisons de prudence dans la gestion du patrimoine familial amènent la Société à arrêter la fabrication d'instruments. A Lille, l'atelier de la rue des Augustins est vendu en 1955 à l'école voisine tenue par des religieuses au grand ravissement de la Supérieure qui cherchait en vain le moyen d'agrandir ses locaux. Qaunt au magasin de Lille dont seule avait été conservée la partie rez-de-chaussée, déjà énorme, donnant sur le parvis Saint Maurice, il est mis en vente en 1958. […]. Le local deviendra maison paroissiale avec trois chambres de vicaires.

 


La Flêche
Si Gras Frères arrête la fabrication des instruments, l'exploitation de sa branche "édition musicales sérieuse" continue. Cette appellation recouvre des volets très différents : ouvrages d'enseignement, musique instrumentale classique, harmonie-fanfare et quelques chansons populaires. Pour cette nouvelle activité, une nouvelle société est créée. Il s'agit de la "Manufacture artistique d'instruments de musique Gras Frères" dont le siège social est à La Flêche (Sarthe). La société démarre son exploitation le 1er janvier 1957. Le 4 février suivant, elle est immatriculée au registre du commerce et des sociétés du Mans sous le numéro 577 050 602. Un logo est retenu : clin d'œil à la nouvelle localisation de la société, il se compose d'une des tours du tout proche château d'Angers.
Dans le domaine de l'enseignement, la société est à la pointe du progrès en publiant des ouvrages dans lesquels, et c'est la grande nouveauté du moment, tous les exemples musicaux sont tirés de partitions existantes. Les éditions Gras Frères publient ainsi dès la fin des années 50. et rééditent régulièrement, jusqu'au milieu des années 80, plusieurs ouvrages réalisés sous la direction d'Henri Bert, directeur de l'école de musique d'Angers. […]
En 1989, la branche éditions est revendue à la maison Alphonse Leduc, leader des maisons françaises d'édition musicale et établie à Paris depuis 1841. Le 7 septembre 1989, les éditions Gras Frères sont radiées du registre du commerce et des sociétés du Mans.

23 février 2000
Olivier Barbry, Dominique Barbry, Christian et Jacqueline Osselin, Marie Weerts
avec la participation de Philippe, Emmanuel, Patrice, Christian Gras et de Geneviève Grandry


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Des infos complémentaires sur les instruments fabriqués par la Maison Gras ICI
et une étude sur les diverses domiciliations et brevets ICI

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Quelques partitions de musique populaire éditées par J. et Ch. Gras




collection personnelle

Souvent illustrées par Simons, on y retrouve les compositeurs, auteurs et interprètes lillois : Georges Philippot, Jean des Marchenelles (Jean Dancoine), Bertal et Line Dariel (Bécasinette).
Charles Gras a aussi édité : J. Nirvassed, Pierre Manaut, Jules Mousseron, César Bourgeois, Emile Ratez, Edmond Pellemeule, Georges Gadenne, Henri Defives, Gustave Het, Alphonse Capon, Jules Dupriez, Ferdinand Cappelle, Eugène Callant, Gustave Gabelles, Urbain Lecomte, Henri Filleul, Georges Carpentier, Albert Delsaux, Henri Wallet, Ludovic Blareau, Jen Berens, Eugène Gaudefroy, Norbert Berthélémy, Fernand Deprey, Gérard Delaeter, Yvonne Querleux, Jules Collery, Marcel Richard, Clément Magnan, Charles Eustace, Gustave Guillemant, etc, etc, tous, ou presque, originaires du Nord ou du Pas de Calais.


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lundi 9 octobre 2017

Eugène Gervais, chansonnier dunkerquois

mise à jour le 9 octobre 2017 : ajout d'une vidéo et du texte intégral de l'article de 2011




GERVAIS Eugène, Auguste, Félix, Dunkerque 1879 / Rosendael 1939
À seize ans, il remporte le 1er prix du concours de déclamation organisé par la Société Dunkerquoise d’Histoire et de Géographie en récitant un poème de son père décédé 2 ans plus tôt. Orphelin il est recueilli par ses grands-parents maternels. En 1900 le Nord Maritime publie un de ses poèmes Je suis l’amour. À partir de 1903 le journal local publie régulièrement ses textes (poésies et chansons). En 1905 il participe à la création du cabaret Au Peudre d’Or, ce cabaret d’inspiration montmartroise se distingue de l’original parisien par l’usage du parler dunkerquois, mais cette expérience ne dure que deux saisons. Cela suffit à Eugène pour acquérir une réputation de chansonnier qu’il exploite en devenant chanteur ambulant pour interpréter ses productions, et les vendre, devant le public dunkerquois et même au-delà. La B. N. F. conserve plusieurs de ses petits formats aux titres évocateurs : La jolie et délicate boulevardière, les jolies filles de Bergues, la pêche au peudre, Les jolies filles de Bourbourg, Titine ou la môme des lascars, C’veintje y sait rien faire, etc. En parallèle, il fréquente le milieu anarcho-syndicaliste* dunkerquois et publie ses textes sous le pseudonyme Jehan La Guigne dans le Journal des Syndiqués et dans La Défense Sociale (sous titré journal révolutionnaire dunkerquois).
Après la guerre, en 1919, il épouse Louise THIRY et trouve un emploi à l’Usine des Dunes, mais la crise frappe aussi à Dunkerque, il est licencié en 1929. Ensuite il exerce divers métiers : peintre en bâtiments, camelot, placeur de billet de tombola, etc. Après une courte maladie, il décède en mars 1939. L’année précédente il avait enregistré sur cire des poèmes de son père sur un stand de la foire de Dunkerque. Ces disques ainsi que ses manuscrits, qui avaient échappé aux bombardements, étaient conservés dans la campagne flamande, hélas ils sont détruits au cours d’un déménagement à la fin des années 1950.
Son épouse décède à Paris dans le 9e arrondissement au 43 rue Saint Georges, le 24 mars 1946.

* pour plus d'infos sur ce mouvement dans le Nord et le Pas de Calais, voir la biographie de Benoit Broutchoux



Une biographie plus détaillée a paru dans le volume 44 de la Revue historique de Dunkerque et du Littoral, publié en janvier 2011 par la Société Dunkerquoise d'Histoire et d'Archéologie
elle est aussi disponible ICI




collection personnelle




Vers la fin de la crise économique
ou Le rêve d'un chômeur
Chantée par Maryse Collache-Rouzet, dite Marieke
accompagnée par Albert Creton



Gloire aux ouvriers (1906)
rend hommage à deux des rescapés de la catastrophe de Courrières
Charles Pruvost et Henri Neny
collection personnelle
(merci à Michèle L. qui m'a offert ce document)


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Toutes les paroles de ses chansons
avec celles de son prédécesseur Hippolyte Bertrand (1830-1902)

Liste des chansons d’Eugène Gervais et Jehan La Guigne
celles marquées d’une * sont dans la publication ci-dessus

Adieu méchante – 1906
L’affaire Jeanne Weber – 1908
Al a perdu son peule – 1906
L’alcoolique – 1906*
L’amour dans l’sac – 1907*
Baiser de Ninon – 1906
La bande des pêcheurs – 1903*
Un berguois assassin – 1907*
La bière de chez nous – 1912*
La catastrophe du Pluviôse – 1910*
Ce que chantent les flots – 1911*
C’veintje y sait rien faire – 1907*
La chanson des archers du Nord – 1910*
La chanson des bécots – 1906
La chanson des gars de Bray-Dunes – sd
La chanson de Lucienne – 1907*
La chanson des P.T.T. – 1912*
Les chapeaux – 1909
Le charnier – 1903*
Chère bonne amie – 1906*
Le cinéma du Maritime – 1909
La collision de tramways – 1909
Les combats de coqs – 1903*
Complainte des bandits des Flandres – 1910*
Le crime et la fin de Favier – 1911*
Le démon de l’alcool – 1912*
Donne un zo… à mon oncle Co – 1938*
La ducasse de Dunkerque – sd*
Dunkerque, ah ! mes amis !! – 1907*
Dunkerque vivant – 1903
Une entrée chez les fauves – 1903*
Goûtez-y – 1909
Les héros du Iéna – 1907
Une histoire d’amour au bord de la mer – sd*
L’horrible crime d’un satyre – 1907
Humbles fiançailles – 1913*
L’impôt sur le revenu – 1907*
Invitation au cake walk – 1904
J’couche à l’cantin’ del fosse – 1919*
Je suis l’amour – 1900*
La jolie et délicate boulevardière – 1906*
Les jolies filles de Bergues – 1906*
Les jolies filles de Bourbourg – 1906*
Un joyeux rêve – 1907*
Juleutche, c’est un frère – 1906*
La jupe culotte – 1911*
La langue – 1906
Le marchand de journaux – 1914*
La marche des p’tites bonnes dunkerquoises – 1906
Maritche elle a perdu son peule – 1927*
Marie-toi à c’t-heure – 1905
Les midinettes dunkerquoises – 1905
Le monument Trystram – 1911
La muse à l’école – 1912*
La muse des corons – 1919*
La muse et le chansonnier – 1935*
Le naufrage du St-Philibert – 1931
Une nuit au cotche – 1907*
Le nouveau minck – 1909
Oui, j’adore la muse – 1903*
La pêche au peudre – sd*
La pêche des Islandais – 1910*
La petite amie – 1913*
Les petites couturières – 1903
Les petites femmes de Dunkerque – 1904
Le peudre de Cythère – 1905
Le pinson chante – 1912*
Plaisirs et prudence – 1905
La pluie d’une nuit d’été – 1908*
Le portrait de la dunkerquoise – 1913*
Posez là votre plume… – 1915*
Quand on s’fréquente – 1906
Quand tu seras vieille – 1905
Les rats dans la tranchée – 1916
La reine des Bray-Dunoises – sd
Le refrain de la bande des pêcheurs – 1907*
Le régiment des joyeux drilles – 1911*
Le retour de Mimi Pinson – 1912*
Retour du cœur – 1905*
Le rêve du matelot – 1913*
Le riches – 1905
Rirette – 1913*
Le roman d’une petite cochère parisienne – 1907*
La ronde des milliards – 1930*
Les satyres sont graciés – 1907
Supplique d’amant – 1904*
Sur la dune, le soir – 1913*
T’as une loque – 1905
Titine ou la môme des lascars – 1906*
Tous dans la verscherbende – 1907
Vas laver tes yeux – 1904
Verdun – 1920*
Vers la fin de la crise – 1936*
La vie des tranchées – 1916
La vieille fille – sd*
Les vieux copains – 1906
Les 28 jours de Gervais – 1906
Les vivants de Courrières – 1906
Voilà la verscherbende qui passe, air La musique qui passe – 1911
Le vol de Paulhan – 1909*


Les chansons d'Hippolyte Bertrand

A la tienne mon vieux
Allume-toi ma cigarette
Les artistes nitrateurs
Le batelier amoureux
La belle aux coupons à bon marché
Le boucher et la boulangère
Carnaval 1894
Le carnaval de Dunkerque
Carnaval de Dunkerque 1893
Le carnaval de Dunkerque 1895
La dévaliseuse de saucissons à la halle
L'enfant martyr de Cappelle
Les exploits d'une cartomancienne
Le fraudeur des sous de La Plata
L'incendie de Coudekerque-Branche
La leçon de natation
La laitière de Coudekerque dans l'embarras
La Marie Bataillon de Bergues
Ousqu'est Saint-Nazaire ?
Pauvre enfant martyr
Le petit Panama ou le nitrate en détresse
La petite Jeanne ou l'enfant martyre de Saint-Pol-sur-Mer
Le tram-car de Dunkerque à Rosendael
Si les filles savaient !
Vivent les enfants de Jean Bart