mercredi 24 septembre 2014

Cistre de prisonnier de guerre allemand (1914-1918)

photo J.-J. Révillion

2014, année du centenaire de la première guerre mondiale : de nombreuses manifestations commémoratives sont organisées tout au long de cette année aux quatre coins de la France pour se souvenir.
Comme on le sait, la guerre de mouvement qui ne devait pas durer plus loin que Noël 14 se transforma en guerre de position, dans les tranchées, avec un front long de plusieurs centaines de kilomètres où les combats étaient discontinus et laissaient une large place à l’attente. Ainsi la vie continua et s’organisa, pour la fleur de la jeunesse des pays belligérants, durant ces quatre années.
Et la musique joua un rôle important, dans le quotidien de ceux qui connurent cette horreur, pour les aider à supporter l’insupportable : chansons, instruments de musique de fortune, nombreux sont les témoignages oraux, écrits, photographiques, ou encore sous forme d’objets souvenirs.
Le musée de Mirecourt, capitale française de la lutherie, présente actuellement une exposition intitulée « La musique malgré tout » où sont présentés les différents aspects de la pratique musicale durant ce conflit. Outre les collections du musée, les conservateurs ont sollicités des prêts de collectionneurs en rapport avec le thème. C’est ainsi qu'un « cistre de prisonnier de guerre allemand » est arrivé au sein de cette exposition.
Bien que ne comportant aucune inscription permettant d’authentifier ni de dater cet instrument, je connais parfaitement l’histoire de ce cistre, puisque je la tiens de mon propre grand père.

Jean Baptiste REVILLION, né en 1898 à La Gorgue (59), a fait la guerre de 14 dans l’artillerie. Il y a perdu son frère ainé, Louis, télégraphiste mort en mission à Tahures (Ardennes), et une bonne part de son audition.
Il en est revenu, sans autres séquelles que sa surdité, et a toujours conservé un certain nombre d’objets relatifs à ce conflit (casque Adrian, baïonnettes, lance fusée, obus gravés…) qui faisaient l’admiration du petit garçon que j’étais, quand il me racontait « sa » guerre 14-18.
Ce cistre, il l’a échangé avec un prisonnier de guerre allemand, contre des bouteilles de vin. On y retrouve certaines caractéristiques des cistres anciens, avec le décrochement* du manche qui est moins large que la touche, la fabrication est rustique mais soignée, elle présente toutes les caractéristiques de la lutherie d’art populaire, faite avec des moyens de fortune : l’orme n’est pas un bois de lutherie et a été employé pour l’ensemble des parties de l’instrument, la caisse est ronde au lieu d’être pyriforme ce qui simplifie le cintrage des éclisses, les chevilles sont taillées au couteau et à la lime. Patrick Delaval qui en a fait un plan détaillé considère, à juste titre, qu’il s’agit d’un waldzither, lointain descendant du cistre renaissance ou XVIIIe siècle encore joué dans certaines régions d’Allemagne : la Thuringe et la région de Hambourg.

© Patrick Delaval
(meilleure définition sur demande)

Le frettage d’origine, en barettes de laiton, a malheureusement été modifié et remplacé par des frettes de guitare plus récentes, dans les années 70 par un apprenti luthier qui pensait améliorer la justesse… Alors que si c’était aujourd'hui, je le laisserais bien évidemment dans son état d’origine !
Je ne le savais pas à l’époque, mais cet instrument que m’a transmis mon grand père, quand je commençais à faire de la musique à l’adolescence, a été le point de départ de ma collection d’instruments d’art populaire et d’une passion qui ne m’a plus quitté.

Jean Jacques Révillion.

* ce décrochement existe également sur un Thüringer Zister de la fin du XVIIIe siècle conservé au musée instrumental de l'Université de Leipzig, voir aussi ici et ici

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