mercredi 22 janvier 2020

Martin et Martine, par Léon Bajeux

Une autre version de la légende, publiée dans le Réveil du Nord et reprise par le bulletin de l'association des anciens combattants du 1er régiment d'infanterie de Cambrai




Ils vont donner à nouveau le "coup de  marteau"
Il manquait depuis un certain temps aux Cambrésiens, les deux bons géants Martin et Martine, ces Maures qui depuis des siècles avaient la charge de marteler la cloche du campanile de l'Hôtel de Ville. Martin et Martine dont tous les Cambrésiens sont fiers de se proclamer les enfants, et même de le chanter, ont été durement éprouvés pendant la guerre. Mutilés, blessés, ils ont été envoyés à Paris pour être remis sur pieds. Dans quelques semaines, plus neufs, plus brillants qu'ils ne le furent jamais, les deux carillonneurs municipaux reprendront la situation « élevée » qui leur fut dévolue il y a 418 ans. Il faut, en effet, remonter à 1511 pour trouver l'origine de ces héros dont le « coup de marteau » est si réputé. La création du ménage de « carillonneurs » 

La création du ménage de "Carillonneurs"
L'histoire de Martin et de sa chaste épouse, qui distribuent vingt-quatre fois par jour les coups rythmés de leurs marteaux est liée à celle de l'horloge de l'édifice communal. C'est en 1511 que les Cambrésiens acquirent de Maximilien, le droit de placer une horloge sur la maison municipale. Pour 200 livres, un « orlogeur » de Douai construisit la mécanique qui n'eut qu'un seul défaut mais combien grave : être muette. Grand émoi chez les bourgeois, mais pour les satisfaire, les échevins louèrent les services d'un sonneur qui fut chargé, le brave homme, de « taper » les heures et de « bateler sur les appeaux » l'ébaudissement du peuple. C'était bien, ce n'était pas encore parfait. En effet, on remarquait à Valenciennes, accolées à l'horloge publique, deux figurines qui étaient animées par un mécanisme et qui sonnaient les heures avec une irréprochable exactitude. Ces jacquemarts étaient Jehan du Goguier et sa gente dame. Cambrai ne pouvait pas demeurer en reste sur Valenciennes ! L'échevinage le comprit, et un beau soir, le 15 août 1511 à la suite d'un plantureux dîner, il fut, par les notables « admis et conclu faire à l'horloge de cette ville Martin de Cambray ». L'idée adoptée fut aussitôt réalisée. Les frères Van Relaere, sculpteurs cambrésiens, façonnèrent deux guerriers maures ; l'un haut de 2 m. 50, l'autre de 2 mètres. Dans des moules de sable fin, on coula ensuite le « métal d'Anvers et le fin estain » qui furent « l'étoffe » des deux sonneurs. Les frères Martin étaient nés. Vers la fin d'octobre 1512, on les inaugura joyeusement. Le temps passa, et vers 1650, croit-on, on créa le couple Martin-Martine en transformant en femme le plus petit des guerriers. 

Les mésaventures des deux géants
Depuis 265 ans, les deux héros ont gardé et ce jusqu'à la dernière guerre, une respectueuse distance entre eux, quoique étant mari et femme. A leurs pieds, ils ont vu s'accomplir bien des évolutions, les unes heureuses, les autres douloureuses et tragiques. Eux-mêmes ont connu l'outrage des ans, outrage heureusement réparable grâce à leur solide constitution. Les guerres ne les ont pas épargnés. Ce brave Martin eut notamment la jambe fracassée par un projectile lors du siège de Cambrai par Louis XIV. La blessure était glorieuse mais hélas, quel affront ne fit-on pas subir au héros en lui donnant comme chirurgien un vulgaire chaudronnier ! La dernière guerre a failli être funeste aux deux sonneurs. Descendus sans ménagement de leurs pavois, ils furent emportés par les Allemands. On les retrouva après l'Armistice, dans une cité belge, en piteux état. Après de sommaires pansements, ils réintégrèrent leurs socles, mais on a dû par la suite, les envoyer à Paris afin d'être équipés et adaptés au nouveau carillon. Ce dernier, comme nous l'avons relaté, comprend 31 cloches, et il est arrivé ces jours derniers à Cambrai, précédant de quelques semaines, ses augustes gardiens. 

Le coup de marteau !
Bientôt Martin et Martine déclencheront donc à nouveau, d'heure en heure, l'hymne cher aux Cambrésiens. Comme par le passé, ils assèneront les joyeux coups de marteau qui se répercutent jusque sur la tête des braves gens, qui de la Grand'Place, les admirent. Inlassables, les Cambrésiens reviendront avec joie écouter le choc de la masse sur l'airain et lorsqu'un visiteur leur fera remarquer que Martin les a « sonnés », ils répondront finement, selon l'usage, que « Martin est un bon père. Il ménage ses enfants et ne frappe que les étrangers ». En vérité, cela on ne l'a jamais contrôlé. 
Louis  BAJEUX


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Alexandre Desrousseaux en a fait une chanson, publiée dans le 5e volume de ses Chansons et pasquilles lilloises.

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