Deux articles publiés dans le bulletin de l'association Traces en mars et avril 1992
La planche 14
Cette planche (format réel : 32,5 x 45 cm) appartient à une série consacrée exclusivement aux cornemuses françaises ou apparentées (une trentaine de planches environ). Celle-ci a été achevée en 1981, à partir de documents et conseils de Rémy Dubois. Le livre de Hubert BOONE (1) n'était pas encore sorti, et les rencontres de collecteurs d'Arras (où furent exposés ces dessins) n'eurent lieu que deux ans plus tard.
Aujourd'hui, plus de dix ans ont passé, et quelques précisions s'imposent. D'autant que cette planche 14 est l'une des rares à avoir été imprimées et diffusées. Or, si je peux encore modifier l'original (chaque dessin étant amovible), les exemplaires imprimés et vendus sont, eux, définitif...
Voici donc une petite mise au point :
A : l'objectif d'alors était d'inclure dans une exposition sur l'instrument de musique dans le Nord de la France au moins UNE référence à la cornemuse de notre région, même si nous ne disposions que de documents écrits. Il devenait urgent de proposer un visuel synthétique, qui puisse établir des points de comparaison avec certaines autres cornemuses françaises, susciter l'intérêt et le discussion, et même servir d'éventuel repère ou de base d'identification pour l'amateur (au cas où...) ; même si nous risquions des erreurs ou des manques ; ce qui s'est passé...
D'où le titre "Zone linguistique picarde et anciens Pays Bas", formule un peu vague, mais qui supprime l'actuelle frontière et permet d'associer des instruments du Hainaut belge (n° 2, 3/4, 6, 7) à d'autres dont l'origine était plus qu'incertaine.
B : De plus, sa réalisation correspond à plusieurs enquêtes de terrain menées dans le Pas de Calais la même année (nous y reviendrons). nous espérions bien retrouver des instruments qui puissent être comparables à ceux-ci ; et s'y ajouter par la suite dans une seconde planche ; ce qui ne s'est pas encore passé...
C : Une mise en conformité sous-entend la suppression de la cornemuse n°1 : on sait maintenant qu'il s'agit d'un modèle d'origine pyrénéenne. Elle était conservée au musée instrumental de Bruxelles, mais il paraît qu'elle ne s'y trouve plus...
D : A l'inverse, une lacune : la gravure de muzelzak, l'une des illustrations du Muzilkaal Kunstwoordenboek de Verschuere Reynvaan, (Amsterdam, 1975) reproduite dans Boone, page 57.
E : Le dessin du joueur de cornemuse Alphonse Gheux existe maintenant dans une version plus élaborée, mais il faut rappeler que cette illustration a été dessinée à partir d'un document photographique qui, à l'origine, comportait des retouches, destinées à mettre en valeur le pied et surtout le petit bourdon, au détriment d'ailleurs du boitier. Ces retouches ont été supprimées, c'est pourquoi ce dessin, et la photo publiée dans Boone, page 2, sont différents d'autres reproductions du même sujet, mais publiées antérieurement.
Dans le prochain épisode, nous parlerons des raisons qui nous ont poussé à inclure dans cette planche le boîtier Lobidel (au centre de la planche, n° 5)
Patrick Delaval
(1) Hubert Boone, La cornemuse, édit. Renaissance du Livre, Bruxelles, 1983
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Le boîtier Lobidel
Pourquoi ce boîtier a-t-il été inclus dans la planche 14 ? pure spéculation, d'accord, mais peut-être début de piste.
Dimension : 95 x 65 mm, il est conservé au musée des Arts et Traditions Populaires
Premier élément intéressant : ce boîtier de type français, c'est à dire plat à deux perces, est orné d'un visage sculpté en "haut relief". En cela, il se distingue des autres souches rencontrées sur le territoire, qui utilisent plutôt comme décoration l'étain, les miroirs, la marqueterie, la gravure rehaussée de couleurs, la nacre griffée, etc... Le décor sculpté est donc suffisamment rare pour qu'on se permettre d'établir un rapport avec la cornemuse retrouvée à Escanaffles par Rémy Dubois (2). Ce boîtier est lui aussi sculpté, mais d'une tête de bélier.
Ensuite, d'autres éléments décoratifs (pans, entailles) peuvent être rapprochés de ceux des deux cornemuses hennuyères (Bruxelles M.I. n° 2701 et 2702). Enfin, si la pratique des souches sculptées de têtes animales ou humaines se rencontre fréquemment dans l'iconographie des le XIIIe siècle, c'est surtout dans les anciens Pays-Bas qu'elle s'est le mieux maintenue. (voir au XVIIe siècle les œuvres de Jordaens, De Heem, Rubens et son école, Rickaert III, Teniers, etc...)
Les choses auraient pu en rester là. Or ils se trouve qu'une autre caractéristique de ce boîtier allait coïncider avec un fait régional. Le dos du boîtier porte une inscription gravée au couteau : LOBIDEL.
C'est un pur hasard (3) si nous avons découvert M. et Mme Lobidel à Labuissière (commune aujourd'hui rattachée à Bruay en Artois). Ils sont ébénistes de pères en fils, et ont toujours signé leurs meubles. Originaires de Ablain-Saint Nazaire, petite commune proche de Lens et totalement détruite en 14-18, ils sont très attachés à reconstituer leur arbre généalogique, mais ne disposent que de très rares documents.
Jusque là, rien de bien grave. Mais une enquête sur minitel, faites par Christian Declerck a montré que seule cette petite région du Pas de Calais abrite des Lobidel. Une vérification (décembre 1991) donne 18 adresses. deux exceptions tout de même : un dans le Nord et un dans les Ardennes (à Buzancy). C'est peut -être là qu'il faudrait chercher ?
Patrick Delaval
Post scriptum : Le répertoire des noms de famille du Pas de Calais, réalisé à partir du recensement de 1820 donne pour Lobidel quatre communes : Eleu dit Leauwette (6 Lobidel), Avion (7), Béthune (1) et Hulluch (3). Une rapide enquête à Avion et Hulluch nous a confirmé la présence de familles Lobidel depuis la fin du XVIIe siècle. Tous sont cultivateurs, ce qui nous fait supposer que le signataire du boîtier pourrait être plutôt le musicien que le facteur.
Christian Declerck
(2) Escanaffles est situé à mi-chemin de Tourcoing et Renaix, mais cette cornemuse était jouée à Popuelles. Voir Boone, page 103, note 128
(3) Stopé à un feu rouge, j'ai simplement levé les yeux sur leur enseigne.
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J'ajoute cette notice parue dans le catalogue de l'exposition L'instrument de musique populaire, usages et symbole, publié en 1980. Exposition se tenait au Musée national des arts et traditions populaires du 28 novembre 1980 au 19 avril 1981.
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Quelques définitions extraites de : Les instruments de musique populaire en Belgique et aux Pays-Bas
LA CORNEMUSE par Hubert BOONE édition La Renaissance du Livre (1983)
[Nota : il s'agit de terminologie, c'est à dire simplement la localisation géographique des mots désignant une cornemuse. En règle générale on ne connaît pas la forme de ces instruments sauf pour la MUCHOSA dont il existe des exemplaires au musée de Bruxelles]
CORNEFOU
Ce vocable se rencontre sporadiquement dans les régions frontalières, notamment aux environs de Lille, nous avons noté Cornefou auprès de personnes âgées de Bondues et de Wambrechies ainsi qu'à Lille, dans le quartier populaire de Saint-Sauveur.
MUCHOSA (= muse au sac)
Des dénominations de ce type ont été notées
en divers endroits du Hainaut, particulièrement à l'est de
l'Escaut : Saint-Sauveur, Wattripont, Anserœul, Escanaffles, Pottes, Arc-Ainières,
Velaines, Mourcourt, Forest, Cordes, Popuelles, Kain, Mont-Saint-Aubert
et Montrœul-au-Bois. On trouve très souvent, en un même lieu,
des variantes de prononciation comme muchosac, muzosa ou muzosac (1). A
Dergnau, on a même entendu moujosac et Ellezelles, muchasac..
Plus loin, vers Tournai et surtout l'ouest de l'Escaut, la terminaison
en "c" disparaît : -sac devient -sa, et le "ch" picard cède
définitivement la place au "z" français : mucho- devient
muzo-; C'est le cas notamment dans les localités de Pecq, Ramegnies-Chin,
Blandain, Orcq et Tournai (2).
MUCHAFOU
L'aire de diffusion de ce terme se situe principalement dans le triangle
Renaix-Leuze-Ath. Nous l'avons noté à Buissenal, Moustier,
Frasnes-les-Buissenal, Grandmetz, Mainvault, Oeudeghien et Ostiches (3).
En Dehors de cette région, d'ailleurs bien délimitées,
muchafou a encore été rencontré à Péruwelz,
Bon-Secours et, Curieusement, à Nasst et à Roeulx près
de Soignies (4). On entend aussi parfois la variante MOUCHAFOU.
Le deuxième élément du terme doit correspondre
au latin follis (sac ou soufflet). L'ancien français fol peut aussi
désigner un instrument de musique.
PIJPZAK - SACKPIPE - PIP'SAC
[J'extrais du texte ce qui concerne notre région]:
Quelques auteurs font remarquer que, dans la région liégeoise,
les vocables du type pip'sac seraient empruntés aux régions
de langue néerlandaise ou allemande avoisinantes. C'est bien
possible, mais nécessairement vrai. en effet, dans la région
de Boulogne-sur-Mer et en d'autres endroits des régions de dialecte
picard, on a noté le terme de PIPOSSA (=pipe-au-sac) et d'autres
variantes. Ceci montre que l'expression appartient aussi en propre à
la région de langue française (5).
(1) : Les termes picards muchosa, muchafou, moujacou et cornefou ont été notés par nous entre 1965 et 1973. Le Musée de la Vie Wallonne organisa, en 1974, une enquête écrite (questionnaire auxiliaire n°16) concernant la cornemuse hennuyère. En ce qui concerne le nom de l'instrument, les quelque 130 correspondants n'ont pu donner aucune réponse. Seul le collaborateur de la commune de Kain signala le terme muso-sa, tandis que Roger Boucart, garde champêtre à Mourcourt et l'un de nos premiers informateurs, écrivait mucho-sac. Il fut également en mesure de fournir des réponses détaillées à d'autres questions ; sa lettre au Musée de la vie Wallonne fut publiée intégralement dans : Monographie du village de Mourcourt, A. JUBARU, 1975. [voir ci-dessous]
Le terme muzosa se trouvera encore cité plus tard dans le poème I va v'nir in oiseau de l'écrivain dialectal tournaisien Paul Mahieu (1979). L'auteur a entendu ce mot employé par sa mère, originaire de Hollain (Brunehaut) près d'Antoing.
(2) : On a noté muzosa à Gondecourt près de Lille (cf. Cochet, le Patois de Gondecourt, 1933). Dans les environs d'Escaupont, toujours en France, notre correspondant André Lévêque a pu noter muzosa et muzo'so.
(3) : On rencontre aussi dans certains de ces endroits, des variantes du type MUCHOSA.
(4) : Ceci pourrait indiquer que l'aire linguistique du terme MUCHAFOU était, à l'origine, beaucoup plus étendue.
(5): Deseille, Curiosités de l'histoire du pays boulonnais ,1884 (pipossa) ; - Debrie, Lexique picard du berger, 1977 (pipe o so) ; - L. Tétu, Glossaire du parler de Berck, 1981 (piposo)
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MUCHOSAC - MOEZEL/MUZEL/MUISJOSAK
L'an dernier, le Musée de la Vie Wallonne demanda à Monsieur Roger BOUCART s'il
voulait réunir une documentation sur les "joueurs de cornemuse". Voilà sa réponse, datée du 21
juillet 1974. "Les souvenirs que les doyens d'âge de notre commune, auprès des quels nous nous sommes
renseignés, gardent encore des anciens joueurs de cornemuse à Mourcourt, sont vagues et
imprécis. Ceux-ci ayant pour ainsi dire totalement disparus en début de ce siècle, les derniers
cornemuseurs furent rencontrés quelques années avant la grande tourmente de
1914-1918.
Cette cornemuse artisanale appelée chez nous
MUCHO-SAC, était l'instrument préféré des ménestrels, des troubadours émules
des derniers trouvères d'antan qui, en certaine période de l'année,
principalement à l'approche des fêtes (les Rois, de la Passion, ...) apparaissaient dans
nos villages allant de porte en porte, interprétant sur leur instrument des
airs le plus souvent de leur composition, récoltant au passage moults pièces de monnaie en guise de
récompense.
En principe, leur apparition coïncidait toujours avec une de
ces fêtes,
qu'ils rappelaient aux habitants des villages qu'ils traversaient. Néanmoins,
au vu des renseignements recueillis nous restons convaincu que cet instrument
restait l'apanage des nombreux bergers qui à l'époque sillonnaient la
région avec leurs troupeaux. Des noms de deux hameaux de la commune rappellent
par leur étymologie la présence dans la localité de nombreuses bergeries.
"Quiévremont" signifie "Mont aux Chèvres". La plupart de ces
bergeries étaient sans doute la propriété des gros censiers du XVIIIe et XIXe
siècles.
Bailly de Lagny 1716 - de la Motte 1707 - de la Melle etc. Ces fermes existent
toujours, les exploitants actuels, que pour la circonstance nous avons
rencontrés, n'ont pu nous éclairer davantage, d'aucuns ignorant même la chose.
Par la suite, poussant nos recherches nous avons
contacté deux petits-fils de berger : l'un presque octogénaire, toujours
désigné sous le sobriquet de "el berger", dont le grand-père décédé en 1901 à l'âge de 84 ans, gardien de
moutons toute sa vie, s'était servi de cet instrument. Nous avons pu grâce aux renseignements
récoltés faire une synthèse que nous livrons à votre curiosité avec bien
entendu toutes les réserves que cela impose.
Comme déjà rappelé, le mucho-sac était l'instrument favori des
bergers, que certains plus habiles confectionnaient eux-mêmes. Le sac ou outre, était
fait d'une panse de brebis, ce n'était ni du cuir ni du tissus quelconque. Cet
organe, une fois enlevé, était gonflé d'air, séché, nettoyé de ses impuretés et
assoupli par la suite au moyen de son de céréales (froment) que l'on frottait
sur les parois. Ils obtenaient ainsi une peau souple et résistante qu'ils
recouvraient ensuite d'une peau de chèvre pour l'embellir. Ce procédé de préparation qui était
encore très
en usage chez nous avant (la) guerre, peut être retenu, si l'on se
rapporte à
nos vieux paysans qui gardaient toujours frais leur tabac dans des vessies de
porcs traitées de la même façon. Le tuyau qui d'un coté formait l'embouchure et de
l'autre était rattaché au sac, d'une longueur de trente centimètres environ, pouvait être en bois ou encore fait à partir d'un os finement
travaillé d'une des pattes du mouton. Quant aux anches complétant l'instrument,
sans doute en bois, aucune indication précise n'a pu nous être fournie.
Toujours d'après nos petits-fils de berger,
leur grand-père (1) jouait du mucho-sac le plus souvent pour se
distraire de sa longue solitude que sa profession imposait, quand aussi il se
déplaçait
avec son troupeau, les airs qu'il interprétait lui permettant de signaler sa
présence aux gens des bourgs et hameaux qu'il traversait, de garder le pas, de
soutenir sa marche parfois longue quand par nécessité il se voyait obligé de
gagner des pâturages très éloignés de son bercail.
L'aîné des deux se souvient très bien, que le retour de son
grand-père
après
plusieurs mois d'absence donnait toujours lieu à une festivité familiale.
Retour qui s'effectuait à l'approche des premiers frimas et qui était fêté dans l'allégresse
réunissant membres de la famille et amis du berger, qu'au son doux et
harmonieux de son mucho-sac faisait danser jusque bien tard.
Il se rappelle aussi, que bambin, entendant au
loin son grand-père revenir, accompagné des gosses de son âge il partait à sa recherche, rentrant tous
au village la main dans la main, dansant la ronde autour du berger, qui sans
doute heureux et fier de sa suite comme il pouvait l'être à l'époque, s'époumonait à jouer de son instrument. En
ce temps là, le retour du berger qui représentait un symbole, était
un événement cher aux coeurs des villageois.
Il était le plus souvent chaussé de gros sabots en
bois de saule, ceux-ci avaient la particularité d'être légers à porter, d'avoir le bout terminé
en pointes très effilée, se recourbant sur le dessus en forme de
demi-S. Affublé d'un pantalon de drap sombre, résistant et solide, la partie
inférieure enserrée au mollet à l'aide de fines lanières de cuir, portant à la bonne saison sarau large,
de toile bleue aux bords plissés, remplacé dès les premiers froids par un
veston fait de peau de mouton fourré à l'intérieur, disposant toujours d'une longue pélerine
lui descendant jusqu'aux chevilles, coiffé d'un chapeau à large bord et équipé de la
légendaire houlette.
Il est bien évident et nous tenons à le signaler, que tous les
bergers ne jouaient pas du mucho-sac, la pratique de cet instrument restait le
privilège
de quelques-uns dont le nôtre en particulier qui, en dehors de cette
distraction occupait ses loisirs en tricotant bas et chaussettes en laine,
confectionnant des débouche-pipes au départ d'os prélevés de la charpente du
mouton dont la partie supérieure représentait toujours un animal, soit un
mouton, chèvre ou chien, le tout d'une grande finesse d'exécution.
Ces objets servaient-ils le cas échéant à l'entretien de son
instrument ? On peut le supposer. A partir de ce moment, l'idée que déjà nous nous faisions sur les
dons d'artiste de notre berger, allait par la suite de nos recherches, se confirmer.
Au vu des photos du formulaire, le cadet des deux
frères,
(l'aîné
étant atteint de cécité depuis plusieurs années) n'a pu se prononcer, pour le
peu de souvenir qu'il en garde, l'une comme l'autre pouvant représenter
l'instrument de son grand-père, donnant toutefois une préférence à celle de droite.
Quand à sa destination et ce qu'il en serait advenu, ils sont
tous deux formels, c'est l'aîné de ses fils au nombre de quatre, domicilié à l'époque en la commune
d'Escanaffles, qui le reçut en souvenir (tradition respectée) étant d'ailleurs le
seul à
pouvoir jouer de cet instrument. Quoique divisés sur la date, cela nous
importait peu, d'autant plus que ce renseignement nous fut par la suite
confirmé en contactant un historien âgé de 85 ans, ancien maire de la commune natale du
berger, qui d'ailleurs l'avait très bien connu.
Nanti de tous ces renseignements, nous avons alors
orienté nos recherches dans la région d'Escanaffles où, celles-ci facilitées par
nos fonctions, allaient s'avérer des plus fructueuses, nos nombreuses
investigations nous permettant de retrouver les accessoires intacts bien
conservés, sauf l'outre tombée en ruine n'ayant pas résisté aux ans et qui
avaient composé le mucho-sac du vieux berger. Inutile de vous dire qu'heureux
et ravi nous étions. Nous avons retrouvé la partie qui servait d'embouchure (2)
ainsi que les deux anches (3), conçues à partir d'une essence de bois que nous croyons être du merisier (très répandu chez nous), une
autre partie vu sa teinte pourrait être de l'acacia.
Le tout forme huit pièces, toutes s'emboîtent les unes dans les
autres. Deux pour l'embouchure, trois pour chacune des deux anches, la dernière servant sans doute de
réserve. L'extrémité évasée en bois d'une des anches formant pavillon est
recouverte d'une matière dure osseuse que nous supposons de la corne, la partie
supérieure qui s'y emboîte est percée de huit trous, sept sur la face avant, un
sur le haut de la face arrière.
La pièce centrale de la anche d'apparat plus volumineuse que
les autres, a permis à l'artisan de se développer ses dons d'artiste, en effet
l'une des faces représente une église, peut-être celle de son village,
l'autre un berger en position debout tenant sa houlette ayant à ses pieds son mouton et son
chien, le tout en relief finement sculpté.
Nous avons relevé de nombreuses inscriptions qui,
pour nous restent à ce jour autant d'énigmes. Nous vous les livrons. NEA -
CALVA - NPIN - SAINT-DRUON (4) - FABNART - ASBOURS - MOURTBRA. Toutes ces
lettres sont représentées en pointillé, bien visibles sur la photo marquée d'un
X, les plus grandes peuvent atteindre un centimètre de hauteur, d'autres de
moitié moindre.
Etant donné que ce travail s'est effectué à l'oeil il se peut que des
erreurs se soient glissées dans le relevé, la forme de certaines lettres ayant
pour ainsi dire presque disparu. D'après l'aîné, il pourrait s'agir du nom de ses meilleurs chiens,
qu'à
leur disparition il gravait en souvenir sur les anches. Aucune date n'a pu être relevée. Grâce à la bonne obligeance de notre
secrétaire communal, autant chevronné de pellicule que passionné d'histoire,
nous avons pu avec l'autorisation du dépositaire en prendre des photos que vous
trouverez ci-jointes.
Notre mission touchant à sa fin, le but étant presque
atteint nous arrêtons ici notre documentation, espérant que susceptible
d'intérêt
elle vous aidera dans vos futures recherches que nous vous souhaitons
fructueuses.Toutefois nous tenons à vous informer, afin que vous en gardiez la primeur,
d'autres musées sont sur la piste, que voici plusieurs années nous avons reçu la visite d'un membre du
Musée Royal d'Histoire de Bruxelles (5) venu expressément aux renseignements à ce sujet, qu'il avait grâce aux éléments d'archives
consultés, établi que notre région et principalement notre commune, possédaient
encore au XIXe et début du XXe siècle de nombreux joueurs de cornemuse, tous bergers qu'au
départ des données recueillies, il avait pu reconstruire un de ces rares
instruments dont le morceau de sa composition qu'il nous interpréta nous avait
ravi et émerveillé, d'aucuns beaucoup plus âgés que nous surpris par
cette peu commune musique avaient de suite reconnu les bergers d'antan.
Les plus belles choses en ce monde ayant le pire
destin, nous vous quittons ... à regret, ne nous restant plus qu'à vous remercier pour le
plaisir immense que ce service nous a procuré, nous permettant de connaître des moments exaltants
mais aussi de déception et d'espérance; de revivre en souvenir avec intense
émotion une époque où la vie, nous en sommes persuadé, était encore un bien
merveilleux voyage. Bonne chance à votre Musée de la Vie Wallonne. Sympathie et amitiés
WALLONNES.
Roger BOUCART Garde-Champêtre MOURCOURT.
(1) : il s'agit de Charles-Louis Lehon,
Popuelles, ° 1817 - † 1901. Sa mucho-sac a été retrouvée par Rémi Dubois chez
l'arrière petit-fils du berger, monsieur Marcel Lehon,
berger à Escanaffles. Elle se trouve maintenant au Musée
Instrumental de Bruxelles.
(2) : embouchure, monsieur
Boucart a sans doute le chalumeau en vue.
(3) : les anches, à mon avis, il veut dire les bourdons.
(4) : Saint-Druon, le patron
des bergers et des bergères, il serait né entre 1102 et 1118 à Carvin-Epinoy. Sa mère étant morte avant d'accoucher, il fallu pratiquer une
césarienne le lui sauver. Adolescent, après avoir rompu avec sa famille, il distribué ses biens aux
pauvres, Druon quitte son village natal pour Sebourg, où il se réfugie chez Isabeau de Le Daire, là il obtient un emploi de berger. Druon est un compagnon
des loups, c'est à dire qu'il est meneur de loups. Il entreprend
neuf fois le pèlerinage à Rome. Il meurt le lundi de Pâques, le 16 avril 1186 à Sebourg.
(5) Monsieur Boucart se
trompe, il s'agissait sans doute de Hubert Boone du Musée Instrumental de
Bruxelles, lors de ses enquêtes dans le nord du Hainaut dans les années '60.
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