jeudi 20 décembre 2012

Mouchafou ou Moezelzak



Deux articles publiés dans le bulletin de l'association Traces en mars et avril 1992


La planche 14


Cette planche (format réel : 32,5 x 45 cm) appartient à une série consacrée exclusivement aux cornemuses françaises ou apparentées (une trentaine de planches environ). Celle-ci a été achevée en 1981, à partir de documents et conseils de Rémy Dubois. Le livre de Hubert BOONE (1) n'était pas encore sorti, et les rencontres de collecteurs d'Arras (où furent exposés ces dessins) n'eurent lieu que deux ans plus tard.
Aujourd'hui, plus de dix ans ont passé, et quelques précisions s'imposent. D'autant que cette planche 14 est l'une des rares à avoir été imprimées et diffusées. Or, si je peux encore modifier l'original (chaque dessin étant amovible), les exemplaires imprimés et vendus sont, eux, définitif...
Voici donc une petite mise au point :

A : l'objectif d'alors était d'inclure dans une exposition sur l'instrument de musique dans le Nord de la France au moins UNE référence à la cornemuse de notre région, même si nous ne disposions que de documents écrits. Il devenait urgent de proposer un visuel synthétique, qui puisse établir des points de comparaison avec certaines autres cornemuses françaises, susciter l'intérêt et le discussion, et même servir d'éventuel repère ou de base d'identification pour l'amateur (au cas où...) ; même si nous risquions des erreurs ou des manques ; ce qui s'est passé...
D'où le titre "Zone linguistique picarde et anciens Pays Bas", formule un peu vague, mais qui supprime l'actuelle frontière et permet d'associer des instruments du Hainaut belge (n° 2, 3/4, 6, 7) à d'autres dont l'origine était plus qu'incertaine.

B : De plus, sa réalisation correspond à plusieurs enquêtes de terrain menées dans le Pas de Calais la même année (nous y reviendrons). nous espérions bien retrouver des instruments qui puissent être comparables à ceux-ci ; et s'y ajouter par la suite dans une seconde planche ; ce qui ne s'est pas encore passé... 

C : Une mise en conformité sous-entend la suppression de la cornemuse n°1 : on sait maintenant qu'il s'agit d'un modèle d'origine pyrénéenne. Elle était conservée au musée instrumental de Bruxelles, mais il paraît qu'elle ne s'y trouve plus...

D : A l'inverse, une lacune : la gravure de muzelzak, l'une des illustrations du Muzilkaal Kunstwoordenboek de Verschuere Reynvaan, (Amsterdam, 1975) reproduite dans Boone, page 57.

E : Le dessin du joueur de cornemuse Alphonse Gheux existe maintenant dans une version plus élaborée, mais il faut rappeler que cette illustration a été dessinée à partir d'un document photographique qui, à l'origine, comportait des retouches, destinées à mettre en valeur le pied et surtout le petit bourdon, au détriment d'ailleurs du boitier. Ces retouches ont été supprimées, c'est pourquoi ce dessin, et la photo publiée dans Boone, page 2, sont différents d'autres reproductions du même sujet, mais publiées antérieurement.

Dans le prochain épisode, nous parlerons des raisons qui nous ont poussé à inclure dans cette planche le boîtier Lobidel (au centre de la planche, n° 5)

Patrick Delaval

(1) Hubert Boone, La cornemuse, édit. Renaissance du Livre, Bruxelles, 1983

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Le boîtier Lobidel



Pourquoi ce boîtier a-t-il été inclus dans la planche 14 ? pure spéculation, d'accord, mais peut-être début de piste.
Dimension : 95 x 65 mm, il est conservé au musée des Arts et Traditions Populaires

Premier élément intéressant : ce boîtier de type français, c'est à dire plat à deux perces, est orné d'un visage sculpté en "haut relief". En cela, il se distingue des autres souches rencontrées sur le territoire, qui utilisent plutôt comme décoration l'étain, les miroirs, la marqueterie, la gravure rehaussée de couleurs, la nacre griffée, etc... Le décor sculpté est donc suffisamment rare pour qu'on se permettre d'établir un rapport avec la cornemuse retrouvée à Escanaffles par Rémy Dubois (2). Ce boîtier est lui aussi sculpté, mais d'une tête de bélier.
Ensuite, d'autres éléments décoratifs (pans, entailles) peuvent être rapprochés de ceux des deux cornemuses hennuyères (Bruxelles M.I. n° 2701 et 2702). Enfin, si la pratique des souches sculptées de têtes animales ou humaines se rencontre fréquemment dans l'iconographie des le XIIIe siècle, c'est surtout dans les anciens Pays-Bas qu'elle s'est le mieux maintenue. (voir au XVIIe siècle les œuvres de Jordaens, De Heem, Rubens et son école, Rickaert III, Teniers, etc...)
Les choses auraient pu en rester là. Or ils se trouve qu'une autre caractéristique de ce boîtier allait coïncider avec un fait régional. Le dos du boîtier porte une inscription gravée au couteau : LOBIDEL.
C'est un pur hasard (3) si nous avons découvert M. et Mme Lobidel à Labuissière (commune aujourd'hui rattachée à Bruay en Artois). Ils sont ébénistes de pères en fils, et ont toujours signé leurs meubles. Originaires de Ablain-Saint Nazaire, petite commune proche de Lens et totalement détruite en 14-18, ils sont très attachés à reconstituer leur arbre généalogique, mais ne disposent que de très rares documents.
Jusque là, rien de bien grave. Mais une enquête sur minitel, faites par Christian Declerck a montré que seule cette petite région du Pas de Calais abrite des Lobidel. Une vérification (décembre 1991) donne 18 adresses. deux exceptions tout de même : un dans le Nord et un dans les Ardennes (à Buzancy). C'est peut -être là qu'il faudrait chercher ?

Patrick Delaval

Post scriptum : Le répertoire des noms de famille du Pas de Calais, réalisé à partir du recensement de 1820 donne pour Lobidel quatre communes : Eleu dit Leauwette (6 Lobidel), Avion (7), Béthune (1) et Hulluch (3). Une rapide enquête à Avion et Hulluch nous a confirmé la présence de familles Lobidel depuis la fin du XVIIe siècle. Tous sont cultivateurs, ce qui nous fait supposer que le signataire du boîtier pourrait être plutôt le musicien que le facteur.

Christian Declerck

(2) Escanaffles est situé à mi-chemin de Tourcoing et Renaix, mais cette cornemuse était jouée à Popuelles. Voir Boone, page 103, note 128
(3) Stopé à un feu rouge, j'ai simplement levé les yeux sur leur enseigne.

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J'ajoute cette notice parue dans le catalogue de l'exposition L'instrument de musique populaire, usages et symbole, publié en 1980. Exposition se tenait au Musée national des arts et traditions populaires du 28 novembre 1980 au 19 avril 1981.





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Quelques définitions extraites de : Les instruments de musique populaire en Belgique et aux Pays-Bas

LA CORNEMUSE par Hubert BOONE édition La Renaissance du Livre (1983) 
 

 
[Nota : il s'agit de terminologie, c'est à dire simplement la localisation géographique des mots désignant une cornemuse. En règle générale on ne connaît pas la forme de ces instruments sauf pour la MUCHOSA dont il existe des exemplaires au musée de Bruxelles]


CORNEFOU
Ce vocable se rencontre sporadiquement dans les régions frontalières, notamment aux environs de Lille, nous avons noté Cornefou auprès de personnes âgées de Bondues et de Wambrechies ainsi qu'à Lille, dans le quartier populaire de Saint-Sauveur.

MUCHOSA (= muse au sac)
Des dénominations de ce type ont été notées en divers endroits du Hainaut, particulièrement à l'est de l'Escaut : Saint-Sauveur, Wattripont, Anserœul, Escanaffles, Pottes, Arc-Ainières, Velaines, Mourcourt, Forest, Cordes, Popuelles, Kain, Mont-Saint-Aubert et Montrœul-au-Bois. On trouve très souvent, en un même lieu, des variantes de prononciation comme muchosac, muzosa ou muzosac (1). A Dergnau, on a même entendu moujosac et Ellezelles, muchasac..
Plus loin, vers Tournai et surtout  l'ouest de l'Escaut, la terminaison en "c" disparaît : -sac devient -sa, et le "ch" picard cède définitivement la place au "z" français : mucho- devient muzo-; C'est le cas notamment dans les localités de Pecq, Ramegnies-Chin, Blandain, Orcq et Tournai (2).

MUCHAFOU
L'aire de diffusion de ce terme se situe principalement dans le triangle Renaix-Leuze-Ath. Nous l'avons noté à Buissenal, Moustier, Frasnes-les-Buissenal, Grandmetz, Mainvault, Oeudeghien et Ostiches (3). En Dehors de cette région, d'ailleurs bien délimitées, muchafou a encore été rencontré à Péruwelz, Bon-Secours et, Curieusement, à Nasst et à Roeulx près de Soignies (4). On entend aussi parfois la variante MOUCHAFOU.
Le deuxième élément du terme doit correspondre au latin follis (sac ou soufflet). L'ancien français fol peut aussi désigner un instrument de musique.

PIJPZAK - SACKPIPE - PIP'SAC
[J'extrais du texte ce qui concerne notre région]:
Quelques auteurs font remarquer que, dans la région liégeoise, les vocables du type pip'sac seraient empruntés aux régions de langue néerlandaise ou allemande avoisinantes.  C'est bien possible, mais nécessairement vrai. en effet, dans la région de Boulogne-sur-Mer et en d'autres endroits des régions de dialecte picard, on a noté le terme de PIPOSSA (=pipe-au-sac) et d'autres variantes. Ceci montre que l'expression appartient aussi en propre à la région de langue française (5).
 
 
(1) : Les termes picards muchosa, muchafou, moujacou et cornefou ont été notés par nous entre 1965 et 1973. Le Musée de la Vie Wallonne organisa, en 1974, une enquête écrite (questionnaire auxiliaire n°16) concernant la cornemuse hennuyère. En ce qui concerne le nom de l'instrument, les quelque 130 correspondants n'ont pu donner aucune réponse. Seul le collaborateur de la commune de Kain signala le terme muso-sa, tandis que Roger Boucart, garde champêtre à Mourcourt et l'un de nos premiers informateurs, écrivait mucho-sac. Il fut également en mesure de fournir des réponses détaillées à d'autres questions ; sa lettre au Musée de la vie Wallonne fut publiée intégralement dans : Monographie du village de Mourcourt, A. JUBARU,  1975. [voir ci-dessous]
Le terme muzosa se trouvera encore cité plus tard dans le poème I va v'nir in oiseau de l'écrivain dialectal tournaisien Paul Mahieu (1979). L'auteur a entendu ce mot employé par sa mère, originaire de Hollain (Brunehaut) près d'Antoing.
(2) : On a noté muzosa à Gondecourt près de Lille (cf. Cochet, le Patois de Gondecourt, 1933). Dans les environs d'Escaupont, toujours en France, notre correspondant André Lévêque a pu noter muzosa et muzo'so.
(3) : On rencontre aussi dans certains de ces endroits, des variantes du type MUCHOSA.
(4) : Ceci pourrait indiquer que l'aire linguistique du terme MUCHAFOU était, à l'origine, beaucoup plus étendue.
(5): Deseille, Curiosités de l'histoire du pays boulonnais ,1884 (pipossa) ; - Debrie, Lexique picard du berger, 1977 (pipe o so) ; - L. Tétu, Glossaire du parler de Berck, 1981 (piposo)

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MUCHOSAC - MOEZEL/MUZEL/MUISJOSAK

L'an dernier, le Musée de la Vie Wallonne demanda à Monsieur Roger BOUCART s'il voulait réunir une documentation sur les "joueurs de cornemuse". Voilà sa réponse, datée du 21 juillet 1974. "Les souvenirs que les doyens d'âge de notre commune, auprès des quels nous nous sommes renseignés, gardent encore des anciens joueurs de cornemuse à Mourcourt, sont vagues et imprécis. Ceux-ci ayant pour ainsi dire totalement disparus en début de ce siècle, les derniers cornemuseurs furent rencontrés quelques années avant la grande tourmente de 1914-1918.
Cette cornemuse artisanale appelée chez nous MUCHO-SAC, était l'instrument préféré des ménestrels, des troubadours émules des derniers trouvères d'antan qui, en certaine période de l'année, principalement à l'approche des fêtes (les Rois, de la Passion, ...) apparaissaient dans nos villages allant de porte en porte, interprétant sur leur instrument des airs le plus souvent de leur composition, récoltant au passage moults pièces de monnaie en guise de récompense.
En principe, leur apparition coïncidait toujours avec une de ces fêtes, qu'ils rappelaient aux habitants des villages qu'ils traversaient. Néanmoins, au vu des renseignements recueillis nous restons convaincu que cet instrument restait l'apanage des nombreux bergers qui à l'époque sillonnaient la région avec leurs troupeaux. Des noms de deux hameaux de la commune rappellent par leur étymologie la présence dans la localité de nombreuses bergeries. "Quiévremont" signifie "Mont aux Chèvres". La plupart de ces bergeries étaient sans doute la propriété des gros censiers du XVIIIe et XIXe siècles. Bailly de Lagny 1716 - de la Motte 1707 - de la Melle etc. Ces fermes existent toujours, les exploitants actuels, que pour la circonstance nous avons rencontrés, n'ont pu nous éclairer davantage, d'aucuns ignorant même la chose.
Par la suite, poussant nos recherches nous avons contacté deux petits-fils de berger : l'un presque octogénaire, toujours désigné sous le sobriquet de "el berger", dont le grand-père décédé en 1901 à l'âge de 84 ans, gardien de moutons toute sa vie, s'était servi de cet instrument. Nous avons pu grâce aux renseignements récoltés faire une synthèse que nous livrons à votre curiosité avec bien entendu toutes les réserves que cela impose.
Comme déjà rappelé, le mucho-sac était l'instrument favori des bergers, que certains plus habiles confectionnaient eux-mêmes. Le sac ou outre, était fait d'une panse de brebis, ce n'était ni du cuir ni du tissus quelconque. Cet organe, une fois enlevé, était gonflé d'air, séché, nettoyé de ses impuretés et assoupli par la suite au moyen de son de céréales (froment) que l'on frottait sur les parois. Ils obtenaient ainsi une peau souple et résistante qu'ils recouvraient ensuite d'une peau de chèvre pour l'embellir. Ce procédé de préparation qui était encore très en usage chez nous avant (la) guerre, peut être retenu, si l'on se rapporte à nos vieux paysans qui gardaient toujours frais leur tabac dans des vessies de porcs traitées de la même façon. Le tuyau qui d'un coté formait l'embouchure et de l'autre était rattaché au sac, d'une longueur de trente centimètres environ, pouvait être en bois ou encore fait à partir d'un os finement travaillé d'une des pattes du mouton. Quant aux anches complétant l'instrument, sans doute en bois, aucune indication précise n'a pu nous être fournie.
Toujours d'après nos petits-fils de berger, leur grand-père (1) jouait du mucho-sac le plus souvent pour se distraire de sa longue solitude que sa profession imposait, quand aussi il se déplaçait avec son troupeau, les airs qu'il interprétait lui permettant de signaler sa présence aux gens des bourgs et hameaux qu'il traversait, de garder le pas, de soutenir sa marche parfois longue quand par nécessité il se voyait obligé de gagner des pâturages très éloignés de son bercail.
L'aîné des deux se souvient très bien, que le retour de son grand-père après plusieurs mois d'absence donnait toujours lieu à une festivité familiale. Retour qui s'effectuait à l'approche des premiers frimas et qui était fêté dans l'allégresse réunissant membres de la famille et amis du berger, qu'au son doux et harmonieux de son mucho-sac faisait danser jusque bien tard.
Il se rappelle aussi, que bambin, entendant au loin son grand-père revenir, accompagné des gosses de son âge il partait à sa recherche, rentrant tous au village la main dans la main, dansant la ronde autour du berger, qui sans doute heureux et fier de sa suite comme il pouvait l'être à l'époque, s'époumonait à jouer de son instrument. En ce temps là, le retour du berger qui représentait un symbole, était un événement cher aux coeurs des villageois.
Il était le plus souvent chaussé de gros sabots en bois de saule, ceux-ci avaient la particularité d'être légers à porter, d'avoir le bout terminé en pointes très effilée, se recourbant sur le dessus en forme de demi-S. Affublé d'un pantalon de drap sombre, résistant et solide, la partie inférieure enserrée au mollet à l'aide de fines lanières de cuir, portant à la bonne saison sarau large, de toile bleue aux bords plissés, remplacé dès les premiers froids par un veston fait de peau de mouton fourré à l'intérieur, disposant toujours d'une longue pélerine lui descendant jusqu'aux chevilles, coiffé d'un chapeau à large bord et équipé de la légendaire houlette.
Il est bien évident et nous tenons à le signaler, que tous les bergers ne jouaient pas du mucho-sac, la pratique de cet instrument restait le privilège de quelques-uns dont le nôtre en particulier qui, en dehors de cette distraction occupait ses loisirs en tricotant bas et chaussettes en laine, confectionnant des débouche-pipes au départ d'os prélevés de la charpente du mouton dont la partie supérieure représentait toujours un animal, soit un mouton, chèvre ou chien, le tout d'une grande finesse d'exécution. Ces objets servaient-ils le cas échéant à l'entretien de son instrument ? On peut le supposer. A partir de ce moment, l'idée que déjà nous nous faisions sur les dons d'artiste de notre berger, allait par la suite de nos recherches, se confirmer.
Au vu des photos du formulaire, le cadet des deux frères, (l'aîné étant atteint de cécité depuis plusieurs années) n'a pu se prononcer, pour le peu de souvenir qu'il en garde, l'une comme l'autre pouvant représenter l'instrument de son grand-père, donnant toutefois une préférence à celle de droite.
Quand à sa destination et ce qu'il en serait advenu, ils sont tous deux formels, c'est l'aîné de ses fils au nombre de quatre, domicilié à l'époque en la commune d'Escanaffles, qui le reçut en souvenir (tradition respectée) étant d'ailleurs le seul à pouvoir jouer de cet instrument. Quoique divisés sur la date, cela nous importait peu, d'autant plus que ce renseignement nous fut par la suite confirmé en contactant un historien âgé de 85 ans, ancien maire de la commune natale du berger, qui d'ailleurs l'avait très bien connu.
Nanti de tous ces renseignements, nous avons alors orienté nos recherches dans la région d'Escanaffles où, celles-ci facilitées par nos fonctions, allaient s'avérer des plus fructueuses, nos nombreuses investigations nous permettant de retrouver les accessoires intacts bien conservés, sauf l'outre tombée en ruine n'ayant pas résisté aux ans et qui avaient composé le mucho-sac du vieux berger. Inutile de vous dire qu'heureux et ravi nous étions. Nous avons retrouvé la partie qui servait d'embouchure (2) ainsi que les deux anches (3), conçues à partir d'une essence de bois que nous croyons être du merisier (très répandu chez nous), une autre partie vu sa teinte pourrait être de l'acacia.
Le tout forme huit pièces, toutes s'emboîtent les unes dans les autres. Deux pour l'embouchure, trois pour chacune des deux anches, la dernière servant sans doute de réserve. L'extrémité évasée en bois d'une des anches formant pavillon est recouverte d'une matière dure osseuse que nous supposons de la corne, la partie supérieure qui s'y emboîte est percée de huit trous, sept sur la face avant, un sur le haut de la face arrière.
La pièce centrale de la anche d'apparat plus volumineuse que les autres, a permis à l'artisan de se développer ses dons d'artiste, en effet l'une des faces représente une église, peut-être celle de son village, l'autre un berger en position debout tenant sa houlette ayant à ses pieds son mouton et son chien, le tout en relief finement sculpté.
Nous avons relevé de nombreuses inscriptions qui, pour nous restent à ce jour autant d'énigmes. Nous vous les livrons. NEA - CALVA - NPIN - SAINT-DRUON (4) - FABNART - ASBOURS - MOURTBRA. Toutes ces lettres sont représentées en pointillé, bien visibles sur la photo marquée d'un X, les plus grandes peuvent atteindre un centimètre de hauteur, d'autres de moitié moindre.
Etant donné que ce travail s'est effectué à l'oeil il se peut que des erreurs se soient glissées dans le relevé, la forme de certaines lettres ayant pour ainsi dire presque disparu. D'après l'aîné, il pourrait s'agir du nom de ses meilleurs chiens, qu'à leur disparition il gravait en souvenir sur les anches. Aucune date n'a pu être relevée. Grâce à la bonne obligeance de notre secrétaire communal, autant chevronné de pellicule que passionné d'histoire, nous avons pu avec l'autorisation du dépositaire en prendre des photos que vous trouverez ci-jointes.
Notre mission touchant à sa fin, le but étant presque atteint nous arrêtons ici notre documentation, espérant que susceptible d'intérêt elle vous aidera dans vos futures recherches que nous vous souhaitons fructueuses.Toutefois nous tenons à vous informer, afin que vous en gardiez la primeur, d'autres musées sont sur la piste, que voici plusieurs années nous avons reçu la visite d'un membre du Musée Royal d'Histoire de Bruxelles (5) venu expressément aux renseignements à ce sujet, qu'il avait grâce aux éléments d'archives consultés, établi que notre région et principalement notre commune, possédaient encore au XIXe et début du XXe siècle de nombreux joueurs de cornemuse, tous bergers qu'au départ des données recueillies, il avait pu reconstruire un de ces rares instruments dont le morceau de sa composition qu'il nous interpréta nous avait ravi et émerveillé, d'aucuns beaucoup plus âgés que nous surpris par cette peu commune musique avaient de suite reconnu les bergers d'antan.

Les plus belles choses en ce monde ayant le pire destin, nous vous quittons ... à regret, ne nous restant plus qu'à vous remercier pour le plaisir immense que ce service nous a procuré, nous permettant de connaître des moments exaltants mais aussi de déception et d'espérance; de revivre en souvenir avec intense émotion une époque où la vie, nous en sommes persuadé, était encore un bien merveilleux voyage. Bonne chance à votre Musée de la Vie Wallonne. Sympathie et amitiés WALLONNES.

Roger BOUCART Garde-Champêtre MOURCOURT.

 (1) : il s'agit de Charles-Louis Lehon, Popuelles, ° 1817 - † 1901. Sa mucho-sac a été retrouvée par Rémi Dubois chez l'arrière petit-fils du berger, monsieur Marcel Lehon, berger à Escanaffles. Elle se trouve maintenant au Musée Instrumental de Bruxelles.
(2) : embouchure, monsieur Boucart a sans doute le chalumeau en vue.
(3) : les anches, à mon avis, il veut dire les bourdons.
(4) : Saint-Druon, le patron des bergers et des bergères, il serait né entre 1102 et 1118 à Carvin-Epinoy. Sa mère étant morte avant d'accoucher, il fallu pratiquer une césarienne le lui sauver. Adolescent, après avoir rompu avec sa famille, il distribué ses biens aux pauvres, Druon quitte son village natal pour Sebourg, où il se réfugie chez Isabeau de Le Daire, là il obtient un emploi de berger. Druon est un compagnon des loups, c'est à dire qu'il est meneur de loups. Il entreprend neuf fois le pèlerinage à Rome. Il meurt le lundi de Pâques, le 16 avril 1186 à Sebourg.
(5) Monsieur Boucart se trompe, il s'agissait sans doute de Hubert Boone du Musée Instrumental de Bruxelles, lors de ses enquêtes dans le nord du Hainaut dans les années '60.

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