Voulez-vous savoir comment naquit le P'tit Quinquin ? En 1853, Desrousseaux habitait avec sa mère dans la cour dont le nom scandalise aujourd'hui quelques raffinés, la cour Jeannette-à-Vaques. Sa proche voisine était une dentellière. Un soir, afin de terminer son travail, elle couche son enfant de bonne heure. Mais le petit bébé s'éveille, pleure et crie. La maman le prend sur ses genoux, lui promet des jouets, des friandises. Vains efforts et vaines promesses ! Et la nuit passe, le jour va venir. La pauvre femme ne pourra terminer la pièce attendue. Elle a une idée : elle menace son petit garçon du fouet de Saint Nicolas. Il a peur, cette fois, il se tait et s'endort… Et, pendant ce temps là, Desrousseaux est à sa fenêtre ; il écoute, il prend peut-être des notes. A coup sûr, il ne perd pas un mot de ce que dit la maman. Et, le lendemain, cette scène nocturne deviendra une ravissante berceuse. A. Desrousseaux a écrit, sous la dictée d'une femme du peuple, ces couplets de tendresse et de mélancolie exquises. […]
la cour Jeannette à Vaches l'entrée est face à l'église Siant-Sauveur |
Alexandre DESROUSSEAUX
[…] Son père, qui fut jadis un soldat de la République, se repose du maniement des armes avec l'archet des violoneux. Le brave homme est pauvre ; il doit mettre son jeune fils à l'apprentissage. Le premier patron est un tisserand, mais un tisserand qui ressemble au savetier de La Fontaine : il est fou de chansons, il en achète à tous les ménestrels de la rue. Parfois, on n'a que les paroles, la musique manque, et c'est le petit apprenti qui est chargé de l'improviser. Le second patron est tailleur en chambre, mais il fut jadis souffleur dans un théâtre. Accroupi sur la table, comme un pacha turc, il fredonne des airs d'opéra ou un couplet de Béranger. Et l'enfant écoute, répète ou va au refrain. Il grandit ainsi, l'oreille ouverte aux phrases musicales, aux roulades naïves du foyer et de l'atelier. A quinze ans, il savait tout juste lire et écrire ; mais la gamme n'avait plus de secrets pour lui.
De l'atelier, A. Desrousseaux ne fait qu'un pas dans la rue sonore et rieuse, qui restera son vrai domaine. En 1838, au carnaval de Lille, une voiture découverte roule sur les boulevards de Lille. Un groupe de compères costumés y chante à pleine tête des refrains nouveaux, écrits dans le patois local, accompagnées de mélodies simples, si bien appropriées à la langue qu'on se figure les savoirs de toujours. Un jeune homme, debout, bat la mesure et offre aux passants les feuilles imprimées. Le maître du chœur est A. Desrousseaux ; ces chansons sont sa première œuvre. Le poète est né et il se révèle, ce jour-là, tel qu'il sera toujours : le trouvère des fêtes populaires, un barde de plein air et de franche gaité, puisant à même la foule, sa langue, ses airs, ses sujets, et recueillant en retour cet enthousiasme mêlé d'affection dont nous portons mal le deuil sous nos froides ironies.
Le talent de Desrousseaux fut de rester fidèle à ses origines. Il était de Lille, il resta Lillois ; il était du peuple, il resta peuple. Il ne lui vint pas à l'idée qu'il pouvait apprendre la langue des académies et la prosodie des cénacles, qu'il devait abdiquer ses originalités primitives pour courir les risques d'une popularité banale, universelle. Son horizon était limité, il n'essaya point de le franchir ; son idiome n'était que la langue d'une ville, d'un quartier, il n'en voulut point d'autre, et, cinquante années durant, il mit sur les lèvres de ses concitoyens une chanson savoureuse qui peut-être ne se taira jamais. […]
le 18 septembre 1909
extrait de Ceux de chez nous, Constantin Lecigne (1864-1915)
Alexandre Desrousseaux a écrit une chanson sur l'histoire de son violon
Alexandre Desrousseaux a écrit une chanson sur l'histoire de son violon
En 1927, la chorale Desrousseaux interprète le P'tit Quinquin pour Gaston Doumergue et Roger Salengro devant l'église Saint Sauveur collection personnelle |
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