dimanche 7 décembre 2014

Les violons d'Emile Remès au musée de Mirecourt.


photo Christian Declerck


Lors de ma visite fin aout 2014 à cette belle expo intitulée « la musique malgré tout » qui évoque la vie musicale (ou plutôt la survie…) à Mirecourt et sur le front durant la première guerre mondiale, je suis tombé en arrêt devant une série de 3 violons, un alto et un violoncelle, fabriqués entre 1914-1915 au camp de prisonnier de Friedrichsfeld, par un nommé Emile Remès, demeurant à Lille, rue de Bapaume.

catalogue de l'expo
disponible au Musée de Mirecourt
Dès que l’information arrive dans le Nord de la France, Christian Declerck se met en chasse, il établit une biographie de Remès (voir plus bas), retrace le parcours des instruments jusqu’à leur arrivée au musée de Mirecourt en 2012 suite à une donation, et l’idée d’une publication sur le blog s’impose rapidement. Il me confie la tache de parler de la lutherie de ces instruments.
Quand on les voit, ce sont de « vrais violons ». Je veux dire par là qu’on n’est pas face à des instruments « art brut », faits à la serpe, avec du bois de caisse, ressemblant de loin à leur modèle, le violon académique. Table et fond sont sculptés, avec des voutes harmonieuses, les dimensions sont respectées, les ouïes sont parfaitement dessinées, le renversement du manche existe. Pas de doute, on est dans la catégorie des « plus que parfaits », selon la classification proposées par Claude Ribouillault dans son article sur les violons art populaire dans la revue Modal consacrée à la lutherie populaire et intitulée « instruments de fortune » (FAMDT éditions 1998)
Je le cite : les violons « plus que parfaits sont « de vrais violons : côtes tenues avec précision, travail soigné, volutes élégantes ». Pour les instruments de Remés, seuls manquent « les bois nobles, et les filets incrustés » pour coller à la définition de Claude qui précise que « ces violons sont difficiles à discerner de ceux des luthiers patentés, avec quelques désobéissances qui mettent l’opus à l’oreille »  (fin de citation.)

Voici les dimensions des instruments du musée :

 - violon 2012.3.1 : L : 60,2, l :20,7, E : 3,5, poids : 440g.


 - violon 2012.3.2 : L : 61,3, l :21,2, E : 3,4, poids : 460g.


 - violon 2012.3.3 : L : 65,2, l :20,8, E : 3,5, poids : 460g


 - alto 2012.3.4 : L : 69,3,  l :23,9, E :3,6,  poids : 600g


 - violoncelle 2012.3.5 : L :118,5 l : 41,4, E :12,2, poids 3,310 Kg


Les bois employés sont les mêmes et contribuent à constituer un ensemble très homogène, en complément de la facture et de la « manière » identique qui témoignent un véritable savoir-faire et une maîtrise manuelle : n’oublions pas qu'Emile était ébéniste.

photo CD
Aucun instrument n’est vernis, les tables sont en pin, d’une seule pièce, pour les violons et l'alto, en 2 parties pour le violoncelle. Les éclisses sont en pin également, les fonds sont en hêtre, d’une seule pièce pour les violons et l'alto, en 2 parties pour le violoncelle. Les manches, les volutes, les cordiers, les chevilles sont en hêtre également, encore que sur une photo fournie par Christian qui a pu photographier les instruments en gros plan à Nieuport, il me semble reconnaître du charme, ou de l’orme. 

photo CD
Quoi qu’il en soit, on est dans un grand classique des instruments de fortune : le luthier amateur fait avec ce qu’il a sous la main. L’histoire raconte que le pin utilisé par E Remès était destiné à l’origine à la fabrication de marchepieds pour les wagons de chemins de der.
Je signale une particularité pour les éclisses du violoncelle : celles-ci sont constituées de 5 bandes de pin disposées longitudinalement.

photo CD
Pas de filets incrustés, donc (pas même dessinés), les bois sont débités sur dosse (visible notamment sur les tables), les chevilles sont remarquablement taillées, ce qui est rare sur des instruments art populaire, où elles sont en général taillées à l’opinel, et non tournées, comme ici. Les ouies sont également remarquablement et finement dessinées (comme des vraies…), ce qui est aussi rarissime sur ce type de lutherie, et témoigne encore de la maîtrise gestuelle de E. Remés, et aussi l’accès à un outillage adapté et en bon état.

photo CD
Les instruments, agés de 100 ans, sont dans un état de conservation remarquable, et ne portent pas les stigmates d’instruments ayant « fait carrière » et ayant beaucoup joué : ils ont semblent-ils leurs chevilles d’origine (aucune n’a été remplacée par des chevilles plus académiques en ébène ou en poirier noirci), elles sont encore bien ajustée, les tables ne sont pas encrassées par la colophane, alors qu’aucun instrument n’a été vernis, les ouïes sont intactes. A croire que Remés a ramené l’ensemble lors de sa libération (dans quelles circonstances ?) et que les instruments ont été précieusement conservés et entretenus comme en témoignent les chevalets du luthier Lillois DEMEY, témoignage d’un remontage postérieur. (Marcel Demey, longtemps ouvrier de la maison Hel, ne s’est installé à son compte qu’en 1943)
Il est intéressant de relever que les instruments comportent tous une étiquette avec la mention « en captivité 1914-1915 » avec son nom et son  adresse  rue de Bapaume à  Lille. Mais d’autres dates son parfois  notées à l’intérieur (notamment 1910 et 1912 sur le violon 2012.3.1)


photos Musée de Mirecourt
On sait également que d’autres instrument de E Remès ont pu circuler, et n’ont pas été conservés dans ce remarquable ensemble, l’un d’entre eux ayant été acquis dans une brocante en Belgique par Aaron Blomme*, violoniste belge, qui l’a fait remettre en état. Bref, tous les espoirs sont permis de voir apparaître un jour d’autres instruments d’Emile Remès, j’en connais au moins deux que cette pensée fait saliver, n’est-ce pas Christian ?

Le 6 décembre 2014 
Jean Jacques Révillion †

* compositeur, avec Joris Devos d'un remarquable concerto



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Corneille, dit Émile, REMÈS
1875-1941


De ce luthier amateur on ne connaissait que son nom et une adresse à Lille. La recherche ne fut facilitée que par la rareté de son patronyme, au moins pour reconstituer les familles Remès domiciliées dans la région lilloise autour de 1900. Malgré cette généalogie, la découverte de sa fiche matricule ne fut pas aisée. Car non seulement il a lui-même changé son prénom, mais le recensement militaire lui en avait attribué un autre. Sur la table annuelle de 1897 il est inscrit comme Camille Remès sous le n° 5.004. Son prénom de naissance est Cornélius, francisé en Corneille ce qui peut prêter à confusion à la lecture.

Emile REMÈS est né à Anvers en 1875, par hasard car ses parents, Henri Remès et Célestine Claessens, qui se sont mariés à Lille en octobre 1872, ont leur premier enfant, Joséphine Françoise, à Lille neuf mois plus tard. Henri est ébéniste, fabriquant de meubles, établi rue d’Alger, dans la cour Duyck depuis 1864. Né à Malines en 1849, il est le fils de François (Anvers 1828 - Lille 1898), contremaître de filature, et Anne Catherine Dieltjens (Malines 1830 - Lille 1888). Emile se déclare menuisier en fauteuil lors de son mariage à Lille en 1900 avec Marthe Lannoye, tailleuse née à Lille en 1875.
En 1897, lors de sa conscription, il est domicilié 92 rue de Flandre. En 1900 c’est au 4 rue Mongolfier qu’il demeure, il déménage le 7 juillet 1904 pour le 6 rue de Chevreuil puis le 12 octobre 1913 il s’établit 6 rue de Bapaume. C’est l’adresse qu’il mentionnera sur les instruments qu’il fabriquera quelques mois plus tard en Allemagne.
Son père obtient la naturalisation française en 1894. Il part donc effectuer son service militaire en 1898 au 15e régiment d'artillerie où il est 2e canonnier servant. Il est mis en disponibilité en 1899. Rappelé en 1914, il est affecté au 1er rgt d'artillerie où il arrive le 2 août. Il est fait prisonnier au siège de Maubeuge le 7 septembre 1914. Interné au camp de Friedrieschsfeld le 2 juin 1917, il ne sera rapatrié que le 14 décembre 1918. Sa fiche matricule mentionne un dernier déménagement le 11 novembre 1921, il s’établit au 109 rue d'Arras, toujours à Lille. En 1932 il  est nommé officier de l'Instruction publique pour son enseignement au sein de la Chambre Syndicale de l'Ameublement de Lille. En 1933 il est domicilié 29 rue des Pyramides, c'est à cette adresse qu'il décède le 25 juin 1941.

Julien Vanstaurts (1880-1955)
professeur au Conservatoire de Lille 
photo : collection particulière

Selon sa belle fille, Lucie Vanstaurts-Vanderstraele, le violoniste lillois Julien Vanstaurts (1880-1955) est l’ami d’Emile Remès (son témoin au premier mariage du violoniste, à Ronchin en 1908), qui est aussi musicien amateur. A son retour de captivité, il confie cinq instruments au violoniste qui les conserve au grenier de son domicile, rue de Paris à Lille. A sa mort en 1955, ils sont conservés à Poitiers chez le petit-fils de ce dernier, puis chez sa belle-fille Lucie. Les instruments ont intégré les collections du musée de Mirecourt en 2012.

Christian Declerck

Sources :
Etat civil de Lille, Ronchin et Anvers
Registre matricule de Lille
Le Grand Echo du Nord
Julien Vanstaurts, Emile Remès et les instruments de guerre, note rédigée par Anne-Sophie Trivelin-Benoit, chargée des collections du Musée de la Lutherie et del’Archèterie Française à Mirecourt



2 commentaires:

  1. Merci pour ces détails passionnants.

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  2. Bonjour,
    J'habite à Parthenay et j'ai un des violons d’Émile, même époque de fabrication que ceux du musée.

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