Mémoire du folk en Nord Pas de Calais: Bio #3, artisan relieur

Découverte

Je découvre la reliure à l'expo St Eloi à Grande-Synthe, vers 1985. Le Centre Social présente les travaux des divers ateliers et je suis très attiré par celui de la reliure, l'animatrice, Marie-Madeleine Caroux (photo source), sait me convaincre de venir participer. C'est le début de l'aventure, et pendant plusieurs années je vais participer à son atelier, j'y aborde les techniques de base, puis j'apprends qu'il y a également un atelier à Dunkerque, à la Maison des Sciences et Techniques, géré par l'AMCALA et animé par Mme Danielle Mouchet, je complète ainsi ma technique en pratiquant quasi toute la semaine, soit à Grande-Synthe, soit à Dunkerque. A Dunkerque les animatrices se succèdent, je vois arriver Monique Bérard, très sympa, et un jour Marie-Madeleine me suggère de m'installer à mon compte… on imagine un projet soutenu par la ville, dans la ferme du Basroch à l'entrée de la ville… mais le projet ne se réalise pas. Je décide de m'installer chez moi à Rosendael dans une chambre à l'étage. Mais avant je dois compléter ma formation avec un professionnel, ce sera Jean-Claude Perche à Perrou (Orne), je logeais dans cette petite maison proche de l'atelier du relieur qui en une semaine me donnera les techniques pro pour organiser mon travail. Je projetais aussi de m'inscrire dans un centre de formation CREAR, à Gouvieux dans l'Oise, mais mon dossier ne les intéressera pas, n'étant pas inscrit à l'ANPE, ils ne pouvent pas bénéficier des subventions de l'Etat, du moins c'est la raison qu'ils m'ont donnée.

Avant l'installation je fais une formation de gestion de plusieurs semaines organisées par une association d'insertion à Grande-Synthe, complétée par une formation plus spécialisée, organisée par la Chambre de Métiers du Nord. Me voilà prêt à me lancer, le 1er octobre 1987.

Martine Mélin

La rencontre de Martine Mélin en 1988 va me me permettre d'apprendre quelques techniques de reliure d'art que j'aurai dû aborder dans le centre qui avait refusé ma candidature. Martine est une relieuse d'art professionnelle, hébergée depuis peu à Gravelines dans la maison d'un ami, en attendant d'ouvrir son atelier dans les Ardennes. J'ai donc la chance, à deux pas de chez moi, de pouvoir suivre régulièrement ses cours quelques heures par semaine et réaliser plusieurs reliures sophistiquées sous ses conseils. Elle m'accueille bénévolement pendant ses heures de travail… un vrai compagnonnage à l'ancienne. En remerciement je lui propose d'organiser une exposition de reliure d'art à la MJC de Rosendael. Grace à son réseau, Martine prend contact avec ses amis, la crème des relieurs de l'époque qui répondent positivement à notre invitation : Sün Evrard, Jean-Pierre Rousseau, Antonio Perez Noriega et la doreuse d'art Hélène Jolis, se joignent aussi Florence Pailliez, relieuse à Lille et Marianne Peter, marbreuse. L'expo Autour du Livre a lieu du 20 octobre au 24 novembre 1990. L'année suivante cette expo est demandée à la bibliothèque de Boulogne sur Mer, par l'intermédiaire de Marie-Aude Pradeau, du 19 au 26 octobre dans l'enclos du cloître.

Le démarrage de l'atelier se présente bien, cette expo a eu une bonne couverture médiatique et m'a fait connaître dans l'agglomération. J'ai très vite travaillé pour les Archives Municipales de Dunkerque. Le conservateur de l'époque, Jean-Luc Porhel, n'était pas du tout satisfait du travail réalisé par mon concurrent. Travail bâclé, dos massicotés, cahiers recréés à l'agrafeuse, un vrai massacre. J'ai pu appliquer les techniques apprises auprès de Martine Mélin, notamment la reliure de registre à l'anglaise d'une solidité à toutes épreuves :

Cette reconnaissance par un professionnel m'a servi de carte de visite pour démarcher d'autres clients institutionnels et d'ailleurs la plupart du temps ce sont eux qui m'appelaient. Je rencontre les particuliers sur les nombreux salons d'artisans ou salons du livre auxquels je participe volontiers quand ils se déroulent dans l'arrondissement de Dunkerque. Je suis un fidèle de Saint-Eloi Expo à Grande Synthe qui avait vu mes débuts, puis je participe régulièrement aux salons du livre de Coudekerque-Branche, Esquelbecq, Gravelines, Hazebrouck, Bailleul, Bergues, Watten, Fort Mardyck, etc.

En 1999 je pose ma candidature au titre de Maître Artisan, décerné par la Chambre de Métier, sur la base d'un dossier prouvant mon activité depuis 10 années, mon désir de faire connaître la professeion et ma capacité à former des apprentis. Je n'avais pas les moyens financiers de payer un apprenti, mais j'avais formé M. Decaestecker pour le PAD, ainsi que quatre employées du service des Archives départementales du Nord et surtout offert la possibilité de découvrir le métier à des jeunes filles, dont une au moins a persévéré : Sandrine Cossement, Sabrina Dejans (devenue enlumineuse), Marie Lamps, Amélie Minegheer et Géraldine Venant qui exerce toujours la profession du côté de Boulogne sur Mer. Mais j'ai également complété la formation en dorure des deux animatrices du club de reliure de l'Amcala qui ont succédé à Monique Bérard et Christiane Lamon : Claudie Sobry et Françoise Boissau. En octobre 1999 la Chambre de Métiers me délivre mon diplôme de Maître Artisan Relieur.

Ensuite c'est la routine de l'artisan, pendant une quinzaine d'années, à parcourir la Région Nord-Pas de Calais pour chercher les registres d'état civil dans les mairies et à livrer le travail terminé. L'arrivée de concurrents de Bordeaux et Limoges, pratiquant des prix cassés pour obtenir un marché, a fait que j'arrête mon activité pour prendre ma retraite le 1er novembre 2015. Un an avant, j'apprends l'installation d'une relieuse à Hazebrouck, je propose à Stéphanie Penez de racheter mon fonds de clientèle, ce qu'elle accepte avec empressement, après analyse comptable d'une experte de la Chambre de Métier, l'affaire est conclue devant le notaire pour l'officialiser. Elle ne prend pas le matériel, qu'elle possède déjà. Le gros matériel est vendu très rapidement grâce à l'internet ; la presse à percussio en bois et l'étau à endosser partent à Bruxelles, le massicot à Nancy, la cisaille et une presse à percussion chez Géraldine qui est aussi intéressée par le combiné de relieur, un autre est repris par un Dunkerquois. J'avais acheté un lots de fers à dorer et de polices de caractères d'un atelier de Valenciennes (Léon Glineur), datant de la fin XIXe/début XXe, qui ne m'ont jamais servi et que je revends au quatre coins du monde ! grâce à un site site d'enchères. Les colis partent dans toute l'Europe et au Canada, au Japon, en Australie, etc. Tout disparaît en trois mois, je n'imaginais pas une aussi belle fin pour mon atelier.

Christian Declerck

11 juin 2025