Il n'est pas rare d'entendre, quand on fait le repas du dimanche midi avec les restes d'un buffet servi lors d'une fête organisée le samedi soir, qu'on "fait rebond". C'est l'idée de prolonger la fête, même pour notre société devenue petite joueuse !
Les aînés le disaient encore, au siècle dernier. "Durs à la tâche", mais maîtres de leur temps. Les récoltes s'étalaient, et le travail faisant encore beaucoup appel à l'entraide, ils n'avaient pas le semencier ou l'industriel sur le dos, attendant la livraison selon un calendrier qu'il avait seul fixé. Ils s'arrêtaient pour de nombreuses fêtes et la ducasse du village n'était pas la moindre. Et bien sûr, comme on recevait à cette occasion à la maison pour partager la tarte et profiter des bals et réjouissances sur la place, il fallait bien rendre la politesse, et se déplacer aussi dans les ducasses alentour.
Le "rebond", voire le "raccroc", avait alors lieu le dimanche suivant la fête, histoire de continuer à s'amuser précise une informatrice de Célestine Leroy, habitant Hydrequent (arrière-pays boulonnais), dans les années 30. Quant à la ducasse, elle durait trois jours, commençant le dimanche pour terminer le mardi soir.
Comme nous indique la légende de la photo prise à Gaudiempré :
Mais pourquoi cet énigmatique "on ramasse les restes" ?
On l'a vu, la photographie attribuée à Constant Tétin est riche d'informations. Au premier rang, deux hommes paraissent "fermer" les côtés de la scène. L'homme moustachu dans la force de l'âge, rogné dans l'édition de La Voix du Nord, se révèle sur le cliché transmis à Christian. Il porte une hotte qu'il parait montrer volontairement à l'objectif. Faisant pendant sur la gauche, juste derrière Constant le violoneux, un autre gars, plus âgé lui aussi que le groupe de la jeunesse, pose de face. Un petit détail au niveau de l'emmanchure de sa veste sombre interroge et, au vu de la composition de la photo, ouvre l'hypothèse d'une possible bretelle. Un second porteur de hotte ?
Deux porteurs de hotte ? |
Les dossiers de Célestine Leroy permettent de comprendre la légende. D'une belle écriture anglaise, une informatrice lui rapporte la coutume d'el'cache à l' tarte, à Mont-Saint-Eloi, situé à une trentaine de kilomètres de Gaudiempré.
Le mardi, dernier jour de la ducasse, le dernier bal terminé, les jeunes gars du village se déguisaient, souvent en femmes, et défilaient dans les rues du village accompagnés, au son de bugle ou piston, de musique funèbre et de lamentations. Portant paniers ou hottes, avec à leur tête le chef de la jeunesse armé d'une pelle à pain, les cacheux (chasseurs, mais aussi chercheurs) d'tarte s'arrêtaient à chaque porte et réclamaient en chantant une part de tarte, dessert emblématique des ducasses de campagne, appelée selon les lieux tarte au papin, au liboulli, à l'prunes, à gros bord. Ils recevaient aussi les restes de ducasse, viande, fruits, parfois de l'argent. Chez les plus pauvres, on faisait le simulacre de mettre un peu de farine sur la pelle. Marquant l'échange, le don récolté s'accompagnait alors de musique pour faire danser les jeunes filles de la maison.
La collecte était prétexte, le soir venu, à ripailles arrosées, entre jeunes. Célestine Leroy précisait que les bandes de cacheux d'tarte pouvaient encore arpenter le village le mercredi !
Dans les années 1960, le comité des fêtes de Mont Saint-Eloi faisait revivre les cacheux d'tarte :
source : Archives du Pas de Calais |
C'est bien une cache à l' tarte qui est organisée à Gaudiempré en ce troisième jour de ducasse, et on peut imaginer à la vue des visages hilares des jeunes et des porteurs de hotte qu'ils escomptent beaucoup de la quête !
Jusqu'à la première guerre mondiale, les communautés villageoises et leurs sociétés de jeunes, n'étaient pas avares d'idées pour prolonger encore la fête communale, et "enterrer la ducasse".
A Hydrequent (62), le mardi soir, on "brûlait la ducasse". Un mannequin de paille était confectionné par la Jeunesse, le plus souvent à l'effigie d'un ou d'une habitant(e) du village, reconnaissable à un de ses attributs, ivrogne avec son litron, mauvaise langue avec son châle, etc… La nuit venue, le bonhomme, précédé d'un accordéoniste, était promené dans le village par les jeunes chantant à tue-tête des Libera, particulièrement dans le secteur de la personne visée. Le spectacle changeait alors, l'accordéon se mettait à jouer des airs endiablés, on revenait sur la place où était encore installé le manège de ducasse. Hurlements, cris, on arrosait de pétrole le bonhomme, une ronde endiablée se constituait autour du mannequin qui flambait. Au raccroc, le dimanche suivant, on se promettait de remettre ça l'année suivante.
A Illies (62), le dernier soir, "on interrait ch' l'oche" (on enterrait l'os). Le plus boute-en-train des jeunes portait avec componction à travers le village un os de jambon décharné, symbole des jours de bombance de la ducasse. Il était accompagné d'un cortège de pleurs et de chants funèbres. L'enterrement avait lieu dans un champ, avant que le cortège ne parte se consoler au café.
On retrouve encore trace de ces simulacres d'enterrement, très comparables aux cérémoniels anciens de fin de carnaval :
- à Biercée (Belgique), le dernier soir de ducasse de la tarte à la cerise
- ou dans cette commune non nommée de la région ICI
Il nous restera deux questions sans réponse.
D'abord que tient le porteur de hotte de droite ? Il a fallu nous faire bien vite à l'idée qu'il ne s'agissait pas d'un sac de cornemuse, même si la posture du personnage nous faisait immanquablement penser au joueur de cornemuse du Repas de Noces de Peter Brueghel. Restait une hypothèse, rendue assez vraisemblable par le flou d'une extrémité de "l'objet". Celle d'un animal, ayant bougé durant le temps de pose. Un chien ? Il y a un chien couché aux pieds de Narcisse le violoneux. Un petit cochon noir à bouts de pattes blanches, comme les berkshire, introduit d'Angleterre au XIXème et croisé avec les races locales ? Parmi les attractions des ducasses de villages, il n'était pas rare que soit organisée une course aux petits cochons.
Ensuite, que montre le jeune déluré situé entre porteur de hotte et grosse caisse ? Même en zoomant, impossible de trancher. La patte de l'animal, mais qui, alors, serait bien longue ? Un attribut symbolique, montré ostensiblement ? Faute de détails, difficile de répondre.
Le beau cliché judicieusement envoyé par Eric à la Voix du Nord, par-delà le précieux souvenir de famille, témoignage d'une belle pratique photographique, nous aura invités, entraînés par le violon de Narcisse, à partager la gaité d'une ducasse artésienne, à la fin du XIXème siècle !
Agnès de Coérémieu
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